Transformer le patrimoine
Depuis octobre 2023, l’Hôtel des Postes à Lausanne a entrepris sa mue. Durant les deux prochaines années, ce bâtiment emblématique du début du XXe siècle sera rénové et transformé. Un projet important qui s’insère dans le nouveau paradigme de la transformation architecturale contemporaine.
Travailler avec l’existant est devenu un thème incontournable. Dans le contexte actuel de la construction où les préoccupations écologiques sont au coeur des débats et où le patrimoine se voit de plus en plus protégé, les enjeux énergétiques et patrimoniaux sont souvent en désaccord. Au fil des projets, les architectes acquièrent de plus en plus d’expérience pour naviguer entre ces deux objectifs à première vue contradictoires. Les approches s’affinent et le geste démiurge de l’architecte laisse place à une construction sensible et respectueuse entre l’architecte et le bâti. Le projet de l’Hôtel des Postes à Lausanne s’inscrit dans ce changement de paradigme. Face à un bâtiment historique important construit en 1900 par Eugène Jost, le maître d’ouvrage, PSP Real Estate SA, a pour ambition de préserver son histoire tout en l’insérant dans l’ère contemporaine.
Redonner une cohérence
Son plan symétrique en U qui fait front à la ville et s’ouvre vers le lac, sa structure en béton armé – une technique alors innovante – et son habillage post-Renaissance en pierre blanche font de l’Hôtel des Postes un des bâtiments tertiaires les plus imposants de la capitale vaudoise.
Or, la splendeur de l’édifice s’est érodée au fil de ses modifications successives. Une extension des années 1960 lui a certes donné son gabarit actuel en rajoutant deux niveaux. Mais de plus petites adaptations, parfois bricolées, ont transformé l’Hôtel des Postes en un amoncellement d’éléments disparates qui ne fonctionnent pas toujours bien ensemble, comme en témoigne la multiplication des circulations verticales aménagées afin de desservir des demi-niveaux qui ont été ajoutés dans les années 1970. Le bâtiment s’est retrouvé dépourvu d’unité globale, tel un puzzle éclaté.
Une intervention était donc devenue nécessaire afin de redonner une cohérence à l’édifice. La tâche s’avère ardue pour les différents intervenants du projet, en premier lieu le bureau d’architectes CCHE ainsi que Halter Prestations globales. En effet, l’évolution de l’Hôtel des Postes n’a été que très peu documentée, laissant une grande place aux suppositions au moment de la conception. Avec les premières opérations de vidage et nettoyage fin 2023, le bâtiment se livre progressivement. Par exemple, la volonté de proposer des plateaux entièrement libres est contrecarrée au niveau 4 par l’existence de poteaux portant la dalle supérieure et dont la nature structurelle ne pouvait être connue au préalable. Le projet doit donc adopter une grande flexibilité dans sa conception, ses aménagements et ses finitions, d’autant plus que les locataires ne sont pas encore connus.
Concentrer l’intervention
Bien que contraignantes dans une logique de construction neuve, ces découvertes deviennent, au sein d’une architecture de la transformation, des singularités constitutives du bâtiment qu’il s’agit d’utiliser et de mettre en valeur. A l’Hôtel des Postes, les architectes se sont appuyés sur trois éléments principaux: les deux cages d’escalier d’origine, les façades et le hall central. Afin de préserver et de pondérer ces éléments, le geste principal a été de contenir les interventions à différents endroits.
Premièrement, les circulations et services sont concentrés dans deux grands blocs symétriques. Adjacents aux cages d’escalier historiques, ces blocs remplacent des escaliers aménagés dans les années 1970 et qui n’ont qu’une faible valeur historique. Cet ajout permet de résoudre les problèmes de distribution verticale et horizontale et répond à toutes les normes en vigueur.
Deuxièmement, l’ancienne verrière et halle côté sud seront démolies et remplacées par une nouvelle construction ayant la même emprise. Sur deux niveaux de rez, elle accueillera à nouveau la poste ainsi qu’un espace commercial et de restauration. Cette extension n’est pas traitée dans un mimétisme historique, mais bien comme un élément moderne qui contraste avec la bâtisse existante. En guise de transition, une verrière d’environ 2 mètres de large suit la façade d’origine. Elle crée ainsi la rupture entre les deux éléments et offre une lecture claire entre nouveau et ancien.
Enfin, la façade étant protégée, aucune transformation ne lui sera apportée. Un nettoyage par hydrogommage ainsi que le remplacement des éléments trop abîmés lui redonneront toutefois un nouveau souffle. La toiture sera quant à elle refaite entièrement avec une ferblanterie identique à celle de l’époque et la toiture en ardoise réutilisera si possible les tuiles existantes en bon état. Un rooftop est imaginé en partie centrale afin d’accueillir probablement un espace de restauration.
Par ces interventions, les architectes de CCHE ont pour ambition de repenser l’intégralité de l’édifice pour le faire évoluer, sur sa base initiale, vers une forme contemporaine qui développe sa propre logique. Il s’agit donc d’accompagner une transformation devenue inéluctable tout en revalorisant l’existant.
Une affaire de compromis
Travailler avec l’existant signifie que le projet ne naît pas d’une page blanche. Un important travail de négociation est nécessaire, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il y a les compromis avec le bâtiment. Développer un nouveau projet ne signifie pas de faire disparaître toute sa substance historique. Un équilibre doit être trouvé entre les éléments que l’on doit conserver et ceux que l’on doit actualiser, voire détruire. Les échanges avec la Division monuments et sites sont intenses afin d’évaluer l’importance de chaque élément, que ce soit des radiateurs, du terrazzo ou encore des moulures. Puis, il y a les compromis avec les différents organes de la construction. En plus de la prédominante rénovation énergétique, le bâtiment transformé doit répondre à toutes les normes actuelles, CVSE, protection incendie, PMR, etc.
Pour les architectes, un véritable travail d’équilibriste est entrepris afin de faire la pesée de ces contraintes et d’en tirer profit pour développer le concept. Par exemple, la Division monuments et sites impose la conservation des encadrements de fenêtres historiques mais, la façade étant protégée, l’isolation du bâtiment ne peut se faire que par l’intérieur. Après échanges et analyses, il a été décidé de n’isoler que les façades nord et sud, celles qui sont les plus exposées en hiver et en été. Les encadrements sont ainsi visibles en façades est et ouest et simplement dissimulés sur les façades nord et sud. Qui sait, d’ici vingt ans, de nouvelles techniques permettront peutêtre de conserver un bon bilan énergétique tout en révélant ces éléments.
Valeur historique, usage contemporain et réalité économique. Voilà les caractéristiques de la transformation aujourd’hui. Un cadre contraint qui, grâce à l’expertise des mandataires, se transforme en champ des possibles vers des projets d’accompagnement pour la transformation du bâti.
CCHE
constitue l’un des plus grands bureaux d’architecture de Suisse romande. Fondé il y a plus de cent ans, il gère aujourd’hui une équipe pluridisciplinaire à travers différents bureaux, à Lausanne, Genève, Nyon, la vallée de Joux, Zurich et même au Portugal. De la conception à la réalisation, le bureau suit des projets d’urbanisme, d’architecture, d’aménagement intérieur et de design qui se distinguent par une vision à la fois économique, écologique et sociale. CCHE est ancré dans son époque et se place toujours à la pointe de l’innovation, à l’instar de la tour de Malley en cours de réalisation avec une structure en bois. → www.cche.ch