La cour, la barre, la tour
Le nouveau complexe appelé à sortir de terre dans le quadrilatère formé par la Baslerstrasse, la Freihofstrasse et la Grundstrasse renforcera la densification du quartier de Zurich- Altstetten. Il est l’aboutissement de deux projets qui, adroitement combinés, remplaceront un ensemble de constructions qui a connu des jours meilleurs.

L’histoire de Halter SA est étroitement liée au développement de Zurich-Altstetten. Créée par Wilhelm Halter en 1918, l’entreprise de génie civil avait installé son siège à Altstetten qui était encore à l’époque une commune indépendante. La société acquiert rapidement des terrains sur lesquels elle construit des immeubles commerciaux, des bâtiments industriels et des logements. Peu avant le décès de Wilhelm Halter début 1944, deux cents maisons mitoyennes voient ainsi le jour dans le quartier. Près de deux générations plus tard, en 1977 et en 1985, un lotissement de 317 logements est en passe de réalisation entre la Baslerstrasse, la Freihofstrasse et la Grundstrasse. Ces immeubles discrets de trois niveaux aux façades en béton lavé appartiennent aujourd’hui encore à des membres de la famille.
Ces «logements locatifs modernes» à proximité du centre commercial Letzipark, qui date plus ou moins de la même période, ont été encensés lors de leur construction. Aujourd’hui, les abords de la Baslerstrasse ont perdu de leur superbe. Au milieu du béton et de l’asphalte, on cherche en vain un espace en plein air accueillant. Mais l’heure du changement a sonné. Plusieurs tours atteignant jusqu’à 80 mètres de haut témoignent de la forte densification en cours à Alt stetten. Le quadrilatère dessiné par la Baslerstrasse, la Freihofstrasse et la Grundstrasse – le site BFG en abrégé – recèle lui aussi de grandes réserves d’utilisation selon l’actuel règlement sur les constructions et les zones de la ville de Zurich.

A grands immeubles, grands espaces
Prestations globales de Halter a lancés en 2022/23 illustrent l’ampleur du potentiel: une vue aérienne sur la Baslerstrasse montre un bâtiment de sept niveaux avec cour et deux barres d’immeubles de huit niveaux dominées à l’arrière par une tour de 60 mètres. Au total, ces quatre immeubles comptent environ 400 logements. Du côté opposé à la rue s’étend un vaste espace vert. La visualisation est l’oeuvre de Giuliani Hönger Architekten et Studio Vulkan Landschaftsarchitektur qui se sont imposés face à quatre autres équipes lors de la procédure de mandats d’étude parallèles à deux degrés.
«Aujourd’hui, les sites de cette taille à un emplacement central se font rares à Zurich», constate Patric Barben, associé chez Giuliani Hönger Architekten. «Ce nouvel ensemble représente une chance pour Altstetten qui manque de grands espaces ouverts.» Urša Habič, associée chez Studio Vulkan Landschaftsarchitektur, confirme: «Le quartier reste fortement marqué par les activités industrielles et commerciales et les espaces publics se comptent sur les doigts d’une main. Un coup d’oeil sur la carte climatique montre qu’il est nécessaire d’accélérer la végétalisation.» L’équipe est vite tombée d’accord: les immeubles seront construits en hauteur pour laisser assez de place au sol pour un espace de type parc.
Le complexe s’insère dans un contexte hétérogène mêlant tours, barres, plots, maisons individuelles mitoyennes et vastes bâtiments industriels et commerciaux. Avec Composite Presence – titre donné au projet –, les architectes reprennent les typologies existantes et tissent des liens en s’affranchissant des limites du site. «Nous avons choisi les trois archétypes de la cour, de la barre et de la tour, précise Patric Barben.
Non seulement ces trois typologies se distinguent par leur forme, mais elles garantissent aussi une certaine diversité dans l’urbanisme, la construction, les logements et les détails qui varient d’un bâtiment à l’autre.Patric Barben
Une diversité qui transparaît également dans les espaces ouverts attenants. A l’ouest du site où passe une voie piétonnière entre la parcelle voisine récemment bâtie et la tour planifiée, il est prévu de créer une place urbaine accessible au public. Au sud des deux barres d’immeubles qui bordent la Baslerstrasse s’étend un grand jardin. A l’est, l’ouvrage à l’articulation complexe forme une cour plus intime, tandis que son positionnement parallèle à la Freihofstrasse dégage une étroite esplanade le long de la Baslerstrasse. Celle-ci mène à une «loggia urbaine» sur le site HIAG voisin, un espace couvert semipublic en cours de réalisation.
Un découpage urbain débouchant sur une approche inhabituelle
Des typologies de bâtiment marquantes, de vastes espaces verts et une composition qui dialogue avec les sites voisins: de nombreuses caractéristiques de Composite Presence se retrouvent également dans le projet Lili soumis par Toblergmür Architekten et Uniola Landschaftsarchitektur. Rien d’étonnant à ce que le comité d’évaluation ait eu du mal à trancher en faveur de l’un ou l’autre des deux projets, remaniés dans le cadre du second degré de la procédure. Au lieu de dresser une autre tour entre les deux hauts immeubles voisins – l’un existe déjà et l’autre est en cours de planification –, Toblergmür Architekten a proposé deux volumes allongés de plus de 50 mètres de haut, une typologie déjà présente à Altstetten. Ils flanquent les voies semi-publiques qui traversent le quartier, tandis que deux immeubles de six niveaux alignés sur la Baslerstrasse enchâssent les espaces contigus. Complété par deux autres corps de bâtiment, le tout donne deux constructions en forme de U auxquelles sont rattachés de généreux espaces verts. «Les deux barres d’immeubles sont à la jointure entre la Baslerstrasse et le terrain abaissé du côté des cours, explique Gabriel Gmür. Côté rue, les rez-dechaussée accueillent des ateliers ou des logements à hauts plafonds et côté cour, l’espace est réparti sur deux unités d’habitation.» Contrairement au projet concurrent de Giuliani Hönger, les chambres à coucher des appartements en rez-de-chaussée sont placées côté cour. «Nous pensons qu’il est possible de proposer des logements ou des ateliers le long de la rue, étant donné que les immeubles ne jouxtent pas directement l’espace-rue et que celui-ci doit devenir lui aussi un espace ouvert attrayant», ajoute Samuel Tobler. Une allusion à la volonté de la ville de Zurich de transformer dans les années à venir la Baslerstrasse en «plus long parc de Suisse». La coupe transversale du bâtiment, réponse urbaine au projet de parc, a plu au comité d’évaluation.



C’est pourquoi celui-ci a recommandé de fusionner les deux projets issus du second degré de la procédure: sur la base du concept général du projet Composite Presence avec ses trois ouvrages marquants et son vaste espace ouvert, les barres d’immeubles prévues seront réalisées conformément à la proposition du projet Lili. Halter a suivi cette recommandation et à l’issue des mandats d’étude parallèles en juin 2023, a chargé les deux bureaux zurichois Giuliani Hönger et Toblergmür de préparer, en collaboration avec le Studio Vulkan Landschaftsarchitektur, une demande de permis de construire pour le site BFG.
Regrouper deux projets de cette manière est une pratique qui sort de l’ordinaire. «Cette combinaison inhabituelle n’est possible que parce qu’il existe des affinités entre les deux approches urbanistiques», affirme Samuel Tobler, convaincu. Les deux équipes se sont affranchies des limites du site et ont visé une bonne accessibilité générale au quartier. Les deux projets présentent par conséquent de vastes espaces ouverts au sud, qui forment un contrepoint aux typologies de grande échelle.
De nouveaux espaces généreux qui rompent avec l’existant
Ces points communs permettent également à Composite Presence et à Lili de se démarquer des trois autres projets du concours, éliminés au premier degré de la procédure. Les solutions urbanistiques à plus petite échelle n’ont pas convaincu les huit membres du comité d’évaluation. Parmi ces projets cependant, celui qui a suscité le plus d’intérêt se confronte au bâti des années 1970 et 1980. Le projet Viletto de Boltshauser Architekten et de l’architecte paysagiste Maurus Schifferli révèle tout le potentiel urbanistique qui sous-tend cet ensemble urbain résidentiel vieux de près de cinquante ans. En procédant par interventions chirurgicales et en associant surélévation, démolition et reconstruction, ils proposent une transformation tournée vers l’avenir. La structure à petite échelle permet une perméabilité élevée du quartier, mais n’a pas fait le poids face aux généreuses dimensions des espaces ouverts affichés par les deux projets recommandés pour la suite des travaux. Sans compter les incertitudes liées aux autorisations à obtenir pour la surélévation de l’existant, notamment pour les hauteurs de plafond et les valeurs limites de bruit.
Le lotissement existant n’est cependant pas voué à disparaître totalement. Il est prévu de découper ses dalles de béton en éléments de 2 à 3 mètres de côté et de les réemployer sous forme de dalles de plafond dans le bâtiment avec cour. Le parking souterrain sera conservé en partie. Reste que de l’extérieur, le quartier sera méconnaissable: en parcourant la promenade arborée de la Baslerstrasse, les piétons passeront devant une place étroite, puis devant une barre d’habitation de 129 mètres de long, dont la strate de balcons en saillie animera l’espace végétalisé de la rue. A l’extrémité ouest de la barre, une place conduira les passants au rez-de-chaussée de la tour en retrait, ouvert au public.
Quand Wilhelm Halter a commencé à remodeler le visage de Zurich-Altstetten il y a plus de cent ans, il ne se doutait sûrement pas que le quadrilatère qu’il avait acquis, et qui servait à l’origine de décharge, accueillerait un jour une tour et des immeubles totalisant 376 appartements – un projet pour lequel le nom de Letzigarten a été retenu en février 2024.
Giuliani Hönger Architekten
a été créé en 1991 par Lorenzo Giuliani et Christian Hönger. Les deux architectes dirigent aujourd’hui le bureau avec cinq associés. Ils réalisent de multiples tâches de construction, dont des bâtiments publics qui occupent une place prépondérante. Parmi eux, de nombreux bâtiments de formation comme la Haute école spécialisée zurichoise Sihlhof, achevée en 2003, ou le centre de la Haute école spécialisée de Saint-Gall FHS, en 2013. Parmi les projets en cours, on compte le Klinikum 2 de l’hôpital universitaire de Bâle, l’extension de la gare de Zurich Stadelhofen, le centre de la Haute école spécialisée des Grisons à Coire ou la Pilatus Arena avec des tours d’habitation à Kriens. → giulianihoenger.ch
Studio Vulkan Landschaftsarchitektur
est né en 2014 à Zurich de la fusion de deux bureaux d’architecture du paysage. Son rayon d’action s’est élargi en 2016 avec l’ouverture d’une antenne à Munich. Parmi les principaux projets réalisés figurent le campus du Toni-Areal à Zurich et l’espace récréatif Butzenbüel près de l’aéroport de Zurich – deux projets qui reposaient sur des cahiers des charges complexes. Le bureau compte une quarantaine de collaborateurs et est dirigé par Lukas Schweingruber, Dominik Bueckers, Florian Strauss, Urša Habič et Christoph Abt. → studiovulkan.ch
Toblergmür Architekten
a été fondé par Samuel Tobler et Gabriel Gmür, qui se connaissent depuis leurs années d’école à Lucerne. Après des études d’architecture à l’EPF de Zurich, ils ont occupé les postes de responsables de concours chez Gmür & Geschwentner. En 2014, ils décident de créer leur propre bureau. Leurs premiers succès aux concours dans la catégorie construction de logements ne se font pas attendre: après plusieurs projets classés en deuxième position, dont le Zollhaus et le site Koch-Areal, ils remportent leurs premiers concours. Triemli 4 à Zurich et Industriestrasse à Lucerne, des coopératives d’habitation ainsi que l’ensemble urbain Lindental de deux cents appartements à Saint-Gall sont en cours de planification ou de construction. → toblergmuer.ch