« Il faut plus de courage et d’esprit pionnier »
Les défis de la planification urbaine, la participation de la population et les conséquences du changement démographique en Suisse, tels sont les thèmes discutés par une présidente de commune et deux de ses homologues lors d’une table ronde sur l’avenir de l’agglomération bernoise.
Ostermundigen, une matinée de fin janvier. La neige est tombée subitement pendant la nuit. Au restaurant Uma, dans la tour de la BäreTower, aux portes de Berne, et à deux pas d’Ittigen, Komplex invite trois maires à cet entretien. Judith Odermatt-Fallegger, présidente de la commune d’Oberdorf, dans le canton de Nidwald, a fait le voyage, alors que pour Marco Rupp, président d’Ittigen, et pour Thomas Iten, président d’Ostermundigen, c’est un peu comme un match qui se jouerait à domicile.




Komplex: Vos communes sont extrêmement différentes. Oberdorf, en Suisse centrale, est la plus étendue, avec 16,2 kilomètres carrés, mais elle ne compte que 3000 habitants. Ittigen, dans le canton de Berne, s’étend sur 4,2 kilomètres carrés et elle compte 11 000 habitants, alors que la commune voisine d’Ostermundigen a une superficie de 6 kilomètres carrés pour 18 000 habitants. Mais au-delà de ces chiffres, comment caractériseriez-vous vos communes?
JOF: Située dans la vallée d’Engelberg, la commune d’Oberdorf se compose de trois fractions. Elle abrite différentes entreprises locales innovantes et axées sur l’international, alors que ses habitants se considèrent plutôt comme traditionnels. A la différence des deux autres communes représentées à cette table, Oberdorf a un caractère rural.
MR: Ittigen est une commune d’agglomération typique. Dans les années 1960 à 1990, nous avons connu une forte croissance de la population mais ensuite, le nombre de nos habitants a stagné. Pour les dix ans à venir, nous nous attendons à une croissance démographique de 10%. Des projets de construction ont déjà été approuvés. Par ailleurs, après 2010, le nombre des emplois a augmenté massivement et entretemps, il dépasse celui des habitants.
TI: Ostermundigen est également une commune d’agglomération typique qui connaît un développement similaire à celui d’Ittigen. Vers 2005, le nombre de nos habitants avait reculé à moins de 15 000, mais nous avons été témoins d’une forte croissance ces quinze dernières années. Entre-temps, nous avons dépassé la barre des 18 000 habitants. Nous partons du principe que la population va s’accroître encore d’environ 1500 personnes dans les années à venir. La tour de la BäreTower, où nous sommes actuellement, symbolise en quelque sorte cette transformation. Avec la révision de notre plan d’aménagement local, nous avons désormais le potentiel qui nous permettra de poursuivre cette transformation.
Nous sommes réunis ici pour discuter du manifeste «Urbanistica» rédigé par Balz Halter et Vittorio Magnago Lampugnani et publié l’an passé, et pour évaluer son importance pour l’aménagement du territoire, la construction urbaine et le développement des communes en Suisse. Sa thèse fondamentale est que la Suisse continue à se percevoir comme un espace rural alors que les conditions de vie urbaines prédominent dans la majeure partie du pays. Conséquence: l’écart se creuse entre les réalités vécues et l’état d’esprit de la population. Autre thèse: il existe en Suisse une architecture exemplaire, mais il s’agit le plus souvent de bâtiments solitaires. Ce qui fait défaut, c’est le lien. Nous manquons de places et d’espaces publics, de lieux qui font le lien entre les différentes constructions. Voilà pourquoi les auteurs du manifeste se présentent aussi comme étant un «Groupement pour un urbanisme réfléchi». La planification urbaine est une mission centrale des pouvoirs publics, affirme aussi ce manifeste. Vous faites partie des décideurs politiques, approuvezvous ces thèses?
TI: On ne peut pas simplement approuver ces thèses – et on ne peut pas non plus les réfuter. Nous, à Ostermundigen, nous nous considérons comme le trait d’union entre les communes urbaines et rurales. Notre vision de l’avenir se résume en un slogan: plus de ville exige plus de village, et plus de village exige plus de ville. Cela peut paraître contradictoire, mais cette vision s’applique aussi aux véritables villes de Suisse. Je parle ici du concept de la «ville des dix minutes», qui n’est rien d’autre qu’un village à grande échelle. L’écart entre espaces urbains et espaces ruraux n’existe que dans la tête des gens.
JOF: Je partage cet avis. Oberdorf a l’avantage d’être proche de l’autoroute. Ainsi, nous sommes vite à Lucerne, et les Lucernois sont vite chez nous. Les gens aimeraient accéder facilement aux villes et profiter des offres urbaines, mais dans leur sphère privée, ils préfèrent le calme et la proximité avec la nature. Cela dépend aussi de l’âge. Nous constatons que les personnes âgées ont tendance à déménager à Stans, le chef-lieu de Nidwald, car cette ville est aussi mieux desservie par les transports publics.
MR: A mes yeux, ces thèses sont correctes, mais il faut aussi pouvoir les lire à la lumière de l’évolution globale. En l’an 2000, Ittigen était une commune-dortoir. Entre-temps, elle s’est fortement développée, nous avons beaucoup plus d’emplois, mais pas encore de centre vivant. Nous devons y travailler. La loi sur l’aménagement du territoire de 2014, qui dit que le développement urbain doit se faire en priorité vers l’intérieur, constitue clairement un changement de paradigme. L’utilisation mesurée du sol est à l’ordre du jour, mais c’est aussi un défi. Une densification réfléchie doit corriger les erreurs commises dans les années 1960 et 1970; nous ne voulons pas bétonner le sol, mais tirer parti des qualités du site de façon à réaménager notre cadre de vie tout en l’améliorant. En 2008, nous avons eu une assemblée communale mémorable au sujet du plan d’aménagement local. La population avait refusé de classer de nouveaux terrains en zone à bâtir, et elle insistait pour que nous continuions à travailler dans les sites existants. Cela nous a offert la chance d’accélérer le développement urbain vers l’intérieur. Et c’est ici qu’entrent en jeu les thèses d’«Urbanistica». Les conditions pour que nous puissions nous développer sont d’avoir non seulement de bons bâtiments, mais aussi un bon urbanisme: construire ce qu’il faut au bon endroit.
JOF: Chez nous, cela fait des années que nous ne pouvons plus nous développer, car les ressources en terrains à bâtir sont épuisées. Nous avons un très grand nombre de maisons individuelles qui sont habitées par des personnes âgées. Parce que celles-ci ne trouvent pas d’appartements à des prix similaires, les jeunes familles ne trouvent pas où se loger. Mais là où la densification est possible, cela entraîne souvent des conflits. Le nombre de recours a augmenté dans toute la Suisse. Je préside la commune d’Oberdorf depuis 2014, et nous n’avons encore jamais reçu autant de recours que l’an dernier. Avant, nous avions davantage de surfaces et nous pouvions construire généreusement, mais la législation actuelle ne nous facilite pas la tâche. Et avec les obligations légales actuelles, pouvoir construire à des prix avantageux constitue également un grand défi.
TI: En règle générale, ce sont les maires qui assument la responsabilité de la planification; c’est la discipline reine dans chaque commune. Notre stratégie de développement doit suivre six principes directeurs. Le premier est de considérer la densification comme une chance. Dans la phase actuelle de notre révision du plan d’aménagement local, il ne s’agit pas seulement des bâtiments eux-mêmes, mais aussi des espaces de rencontre. Nous devons en outre avoir des réponses aux changements démographiques. Chez nous, plusieurs maîtres d’ouvrage construisent spécialement pour loger les personnes âgées pour qu’un changement de générations puisse se produire. L’enjeu n’est pas la construction en soi, mais il s’agit au contraire des personnes. Nous voulons créer des espaces de vie à Oberdorf, nous voulons que les gens s’engagent au sein des associations, qu’ils trouvent du travail ici.

Judith Odermatt-Fallegger
a grandi à Alpnach et à Stansstad, a suivi un apprentissage dans le commerce de détail, puis a travaillé dans le domaine de la mode en tant que responsable de magasin, formatrice et examinatrice. Longtemps active auprès de différentes associations, elle s’est, après une pause professionnelle, lancée dans la politique au sein du PLR. Conseillère communale de 2012 à 2014 dans l’exécutif de milice d’Oberdorf, dans le canton de Nidwald, elle préside la commune depuis 2014. Depuis 2022, elle est en outre députée au Grand Conseil et présidente de la Conférence des présidentes et présidents de communes du canton de Nidwald. → oberdorf-nw.ch
Komplex: La planification urbaine est une mission centrale des pouvoirs publics: telle est l’une des thèses du manifeste. Or dans l’espace, cette planification finit aux frontières communales, et dans le temps, elle se termine à la fin de la législature; des développements et des visions d’ordre supérieur font défaut. Comment jugez-vous cette critique à l’aune de votre pratique politique?
MR: C’est lié aux chances et aux risques inhérents au fédéralisme. Car tout ce que nous faisons doit, en fin de compte, rencontrer l’adhésion de la population. Cela implique que les souhaits de développement des cantons et des communes peuvent contredire, jusqu’à un certain degré, les objectifs fixés par la loi sur l’aménagement du territoire. Il ne s’agit toutefois pas de savoir si nous voulons développer ou non. Lorsque la population suisse augmente, notre mission consiste à maîtriser cette situation. Soit nous laissons faire en spectateurs, soit nous prenons un rôle actif, et nous déclarons ceci: nous avons pour mission d’améliorer la qualité de vie et la situation du logement, et nous relevons ces défis en recourant aux moyens d’un urbanisme réfléchi. Nous disposons d’instruments comme les plans directeurs ou les plans d’affectation dont la validité dépasse la durée d’une législature. Car les processus durent nettement plus que quatre ans et nécessitent de la sécurité en matière de planification.
TI: Qu’une commune ait aussi des intérêts particuliers, parfois politiques, est une évidence. Mais avec la Conférence régionale Berne-Mittelland, introduite il y a plus de dix ans, nous possédons des outils supracommunaux qui permettent de coordonner les développements en dehors du seul échelon communal. J’ai toutefois l’impression que nous ne sommes pas encore là où nous devrions être. Il faut se préparer à l’avenir, et ce n’est possible qu’avec des instruments de planification.
JOF: En tant que présidente de commune, la responsabilité qui m’incombe est de présenter les visions et d’enthousiasmer les gens pour les projets que nous planifions. Il est important de persévérer, même si cela peut durer plusieurs législatures.
TI: Je dis toujours que nous devons essayer des choses et être audacieux, même si nous échouons parfois en nous heurtant à l’ADN traditionnel de la Suisse. Nous sommes poussés à nous engager dans de nouvelles voies, à être créatifs et non conventionnels. A cet égard, les citoyens sont aussi une aide. Il est important que je puisse leur expliquer de quoi il s’agit dans leur langue. Même si nous sommes de grandes communes, nous avons le privilège de mener ces discussions là où se déroule la vie réelle, et de montrer ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Mais cela ne marche que si j’entre en dialogue avec les gens.
Toutefois, la politique a parfois la prétention de tout savoir mieux que les autres. Alors qu’il serait si simple d’écouter les gens et d’instaurer la confiance.
Komplex: La question de la communication me semble très importante. Bâtir et planifier sont des processus relativement complexes qui échappent à la compréhension de beaucoup de citoyens. Comment créons-nous le transfert dans la communication? Comment la participation est-elle possible?
JOF: En dernière analyse, nous nous considérons comme une entreprise de prestations au service de nos concitoyens. Ce sont eux qui nous paient, nous voulons les soutenir, et pas seulement leur montrer les obstacles. Notre but est de profiter les uns des autres, d’être une communauté qui fonctionne bien, et de maintenir les structures qui ont fait leurs preuves. En tant que commune bénéficiaire dans la péréquation financière intracantonale, cela nous place devant des défis supplémentaires. Quand Oberdorf veut acheter une parcelle au canton, la décision relève du Parlement cantonal. Nous devons lui montrer que nous gérons nos finances de manière responsable et que nous offrons au canton un développement positif dans notre commune.
MR: La participation fonctionne lorsqu’on peut mettre en place une relation de confiance: avec la population, mais aussi avec le canton. Nous ne sommes pas une île; nous faisons partie de l’agglomération, et nous ne pouvons pas seulement nous contenter de profiter et de ne choisir que ce qui nous arrange. Nous avons aussi quelque chose à fournir. Nous nous heurtons parfois à des limites, car les instruments de planification sont complexes et ne sont pas compréhensibles d’emblée. Si nous disons: en tant que commune proche d’une ville, nous avons de bonnes gares, nous avons un train toutes les sept minutes et demie, nous sommes les voisins de Berne, et nous saisissons la chance de densifier ici, les gens comprennent. Mais quand il s’agit de passer à l’acte, le voisin se met à dire: la densification, c’est bien, mais pas chez moi. C’est une situation inévitable. Mais si nous parvenons à expliquer que la densification ultérieure n’est pas synonyme de bétonnage, mais aussi une occasion de créer des zones de verdure et de renforcer les fonctions de centre de la commune, si nous jouons cartes sur table et que nous prenons au sérieux les critiques, nous pouvons obtenir de meilleurs résultats. Nous voulons en effet réaliser quelque chose de bien, quelque chose qui doit être le fruit d’un urbanisme mûrement réfléchi. Si nous n’entrons pas dans un processus de décision transparent, nous avons perdu d’avance.
TI: Comme ancien cheminot, je suis arrivé à la planification en tant qu’étranger à la branche. J’ai eu la chance d’apprendre énormément, mais j’ai le sentiment que dans les jurys, les participants externes présentent leurs arguments sans beaucoup tenir compte des besoins de la population, et que le lien avec les réalités locales leur manque. J’ai un grand respect pour l’architecture et pour la procédure du concours. Mais nous devons aussi avoir le courage de faire les choses de manière un peu différente. La tour BäreTower, où nous sommes en ce moment, n’est pas le résultat d’un concours. Et pourtant, elle a été saluée dans diverses revues spécialisées qui en ont confirmé la qualité. Selon la situation, il doit aussi être possible de s’engager dans des voies différentes.
MR: A elle seule, une solution d’urbanisme, si fascinante soit-elle, ne suffit pas pour gagner des majorités politiques.
TI: Nos citoyens, dont beaucoup peinent à payer leurs primes de caisse-maladie, ne comprennent pas qu’il faille dépenser plusieurs dizaines de milliers de francs pour des mandats d’étude. Il nous faut plus de courage et d’esprit pionnier et moins de procédures de planification lourdes et difficiles à communiquer.

Marco Rupp
a grandi à Köniz et a suivi des études de géographie à l’Université de Berne qu’il a terminées par un doctorat en 1986. Il a exercé pendant dix ans ses activités auprès du canton de Berne en tant que chef de projet, puis il a rejoint un bureau d’urbanisme dans l’économie privée et a enseigné l’aménagement et le développement du territoire à l’Université de Berne. Domicilié à Ittigen, près de Berne, depuis 1990, il s’engage politiquement auprès de l’association bourgeoise-libérale d’Ittigen (BVI), notamment en tant que représentant de cette association au sein du Conseil communal de 1997 à 2008. Il préside la commune depuis 2015. → ittigen.ch
Komplex: Il règne dans toute la société un climat où l’agressivité augmente. Comment vivez-vous cela lorsqu’il s’agit de négocier des processus de planification?
MR: Il est clair que nous avons dû intensifier notre discours et que le travail de sensibilisation a dû être étendu. Nous avons évolué trop longtemps vers une société individualiste, et nous constatons que la cohésion sociale devrait devenir un thème de discussion prioritaire. Il y a peut-être 1% de la population qui a une mentalité quérulente, et on ne pourra pas changer cela. Nous devons donc nous concentrer sur les larges couches de la population qui sont constructives.
TI: Ce qui me préoccupe beaucoup, c’est le manque de personnel qualifié en politique. C’est pour moi l’un des plus grands risques pour notre société, avec les effets de la pandémie que nous continuons de ressentir. Je pense ici aux citoyens en colère. Je me demande comment nous allons pouvoir préserver, dans ce contexte, les qualités qui nous tiennent tant à coeur pour les générations futures.
JOF: Le nombre des participants à nos assemblées communales est plutôt faible. La plupart font partie de l’ancienne génération, ou alors ils sont présents en raison de leur fonction politique. Cela m’inquiète, car les décisions qui sont prises concernent surtout les jeunes. Il est important qu’ils s’engagent aussi. Mais comment les y inciter? Nous devons trouver des moyens d’atteindre la jeune génération et de la motiver à forger son propre avenir. Il est important que chaque personne s’implique, collabore et participe. Les associations ont certes beaucoup de membres, mais malheureusement, personne ne veut plus assumer de responsabilité. Nous ne sommes pas les seuls à être touchés par cette évolution. C’est pourquoi nous devons changer la situation ensemble.
MR: J’aimerais nuancer: les gens s’engagent là où ils sont concernés. Mais ils ne veulent pas rester dix ans dans une association avant de devenir trésorier, et finalement président. Il y a des assemblées communales qui réunissent 80 participants, d’autres 850 participants dans la mesure où cela les intéresse.
Komplex: Et pourtant, il existe de nouveaux thèmes qui touchent tout le monde et qui suscitent justement l’intérêt de la jeune génération. Dans le secteur de la construction, il s’agit de l’économie circulaire, de la préservation des ressources ou des matériaux de construction durables. Beaucoup de progrès ont été faits, et même des cabinets d’architectes confirmés sont en train de changer d’approche. Qu’estce que cela implique pour vous?
TI: Gérer l’existant avec soin est devenu un thème important, chez nous aussi. Le facteur déclenchant a été le souhait d’un investisseur qui voulait seulement rénover un lotissement résidentiel datant des années 1980. Mais l’architecte mandaté s’est engagé en faveur d’une surélévation en bois en recourant à un mode de construction léger d’un nouveau genre. La proposition a été approuvée en votation populaire et se trouve actuellement en cours de réalisation. Dans un autre projet de développement de grande ampleur – où nous ne sommes pas propriétaire en tant que commune – nous avons repris dans le programme du concours l’idée d’intégrer autant que possible les bâtiments existants.

Thomas Iten
a passé une grande partie de son enfance dans la commune d’agglomération bernoise d’Ostermundigen, où il s’engage aussi à titre bénévole dans de nombreuses organisations. Ancien employé de gare, il a assumé différents mandats dans la politique communale; il est devenu membre du Conseil communal en 2004, et il préside la commune d’Ostermundigen depuis 2013. Initialement membre du PS, il a gagné son élection en tant que candidat sans parti. → ostermundigen.ch
Komplex: Construire, c’est changer, et la notion de changement implique à la fois un gain et une perte. Le philosophe Hermann Lübbe disait que si, dans le monde vécu, les choses changent trop dans un laps de temps donné, cela entraîne un fort malaise dans la population. Y a-t-il, à votre avis, des limites au changement et des limites à la croissance?
TI: On pourrait esquiver la question, en tant que commune, en invoquant les directives. Mais j’ai l’impression qu’il existe des limites au changement. Quand le cadre de vie change rapidement, nous avons besoin d’autres certitudes auxquelles on peut se raccrocher. Le sentiment de sécurité est aussi lié à la confiance. Est-ce que j’ai confiance en la politique, est-ce qu’elle me donne la sécurité nécessaire pour que je sois prêt à m’engager dans la voie du changement? Et si j’ai parlé de 1500 habitants supplémentaires dans ma commune au début de cet entretien, la question se pose pour moi de savoir comment nous pourrons maîtriser cette croissance et quels mécanismes de pilotage nous devrions appliquer. Une tendance actuelle veut que l’on construise à nouveau plus petit: la surface habitable occupée par personne semble diminuer. Nous évoluons dans un processus et sommes encore en train de chercher. Nous nous posons la question de savoir ce dont nous aurons besoin dans vingt ou trente ans. Mais les réponses ne sont pas simples.
MR: D’un côté, il y a les sceptiques, et de l’autre, il y a ceux qui veulent le changement. Nous devons réussir à montrer la valeur ajoutée du changement. Or c’est un processus qui prend du temps et qui demande un grand travail de persuasion. Nous vivons un changement de société. Les jours où une famille classique emménageait dans une maison individuelle, qu’elle y habitait pendant cinquante ans, et qu’une communauté de propriétaires vendait ensuite ce bien immobilier font partie du passé. 30% de notre population a plus de 65 ans. L’appartement classique de trois pièces n’est plus autant demandé qu’autrefois. Abstraction faite des considérations énergétiques, ces développements nous contraignent à transformer de grandes parties du bâti existant. L’économie circulaire, déjà brièvement évoquée, n’en est encore qu’à ses débuts. Mais au vu de la mutation démographique, je n’ai pas peur qu’on ne construise plus. Les investisseurs doivent toutefois comprendre qu’il ne s’agit plus exclusivement de bâtir des immeubles de rapport.
Nous-mêmes, en tant que communes, nous devrions faire preuve d’autodiscipline dans les procédures d’autorisation de construire, et les entreprises ont besoin d’un changement d’état d’esprit afin de créer ensemble des valeurs qui génèrent des avantages pour notre population.









