Ça coince dans les rouages de la densification

Illustration
Dominique Wyss

L'internalisation de la compression contribue à atteindre les objectifs climatiques, crée des logements abordables dans des zones demandées et s'oppose à l'étalement urbain et à la imperméabilisation des sols – du moins en théorie.

« Oui, mais... », entend-on aux quatre coins du pays – bien que, objectivement, il y ait peu d’arguments contre la densification urbaine comme moyen efficace pour relever les défis actuels de l’aménagement du territoire. La raison dit oui, mais les ventres sont trop pleins. Il faut passer outre les intérêts personnels. La politique et les autorités, les investisseurs et le secteur de la construction sont tous mis au défi de dissiper les doutes.

De plus en plus de personnes veulent vivre en ville. A l’échelle mondiale, on observe une mégatendance à l’urbanisation. C’est dans l’espace urbain que se cristallisent les principaux enjeux de notre époque : la lutte contre le changement climatique, la disponibilité de logements abordables, l’avenir du travail et de la mobilité. La population suisse continue de croître – entre 0,7 et 0,8% par an ces cinq dernières années. Le revirement des taux d’intérêt a des conséquences directes sur le marché immobilier. Les taux de vacance, déjà très bas, continuent de chuter. L’activité de construction diminue – des terrains à bâtir sont certes disponibles, mais aux mauvais endroits. L’offre et la demande se déséquilibrent encore plus.

Robin Neuhaus (38 ans), né à Zurich, a effectué un apprentissage de dessinateur en bâtiment. Il a ensuite obtenu un diplôme d’ingénieur HES en gestion des processus de construction à Berthoud (BE). Son professeur, Andreas Campi, l’a orienté vers Swiss Spa Group AG, où il a notamment été responsable de projet de l’Europaallee de CFF Immobilier. Après avoir fait le tour du monde, il a commencé chez Priora Development AG, où il était gestionnaire de portefeuille pour les biens immobiliers situés autour de l’aéroport de Zurich. Pendant cette période, il a étudié au CUREM de l’Université de Zurich et est devenu membre de la RICS. Il a ensuite été nommé responsable du Portfolio Management chez Flughafen Zürich AG. Depuis novembre 2021, Robin Neuhaus est chef de projet de développement chez Halter SA. → www.halter.ch

Pourtant, il y aurait une solution : la densification urbaine. Elle contribue à la réalisation des objectifs climatiques, crée des logements abordables dans des endroits recherchés et lutte contre l’étalement urbain et l’imperméabilisation des sols. En théorie, d’accord. Mais la différence entre la théorie et la pratique – et c’est là tout le paradoxe – est bien plus grande dans la pratique que dans la théorie. La densification en tant que stratégie d’aménagement du territoire n’est pas encore entrée dans les mœurs. Les terrains constructibles sont perçus comme une ressource infinie. Parfois, il manque aussi tout simplement la motivation politique, avec en toile de fond une attitude « pas de ça chez moi » de la population urbaine. Les réformes des règlements locaux sur les constructions et les zones stagnent. Le droit d’opposition constitue un autre obstacle, car il est de plus en plus utilisé à mauvais escient pour une opposition de principe ou pour défendre des intérêts particuliers. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’attitude de Patrimoine suisse qui, en invoquant l’argument de l’énergie grise, demande une interdiction formelle des démolitions.

L’exemple de Patrimoine suisse illustre de manière édifiante la manière dont certaines organisations et associations se servent de la crise climatique à leurs propres fins et idéologies. Ainsi, la revendication d’une interdiction formelle de démolition par Patrimoine suisse est inappropriée, et ce, précisément pour des raisons de politique énergétique. Lors de leur coûteuse remise en état, les bâtiments devenus obsolètes sur le plan énergétique et fonctionnel consomment en général autant, voire plus d’énergie grise qu’une construction neuve et moderne. Au final, un remplacement de l’existant à travers la densification urbaine, conformément aux dispositions de la loi sur l’aménagement du territoire, est l’une des mesures les plus efficaces sur le plan climatique. L’argument selon lequel les bonus d’utilisation du sol créeraient de fausses incitations pour les propriétaires et détruiraient un parc immobilier intact sur le plan énergétique est donc trop simpliste. Le propriétaire d’un bâtiment parfaitement fonctionnel densifiera dans la mesure du possible l’existant, car il voudra (au moins) préserver la valeur économique de son bien immobilier.

Il est à la fois judicieux et nécessaire de ne pas considérer les bâtiments de valeur historique et culturelle selon la double logique exclusive de la protection du climat et de la rentabilité, mais de peser honnêtement les intérêts en jeu. Toutefois, la population suisse continue de croître, et avec elle la pénurie de logements. La seule alternative à la densification urbaine est de continuer à construire sur des terrains vierges. Or, personne ne peut vraiment souhaiter cela.

Réduire l’empreinte carbone et créer des logements abordables

Que faut-il pour faire sortir la densification urbaine de l’impasse des intérêts ? De toute évidence, la stratégie de densification n’est pas un concept applicable partout. C’est précisément pour cela qu’il faut définir des objectifs clairs et les mettre en œuvre de manière cohérente. Selon la typologie territoriale de l’Office fédéral de la statistique, les communes des couronnes d’agglomération, ainsi que les centres principaux et secondaires des communes-centres d’agglomération, sont au cœur des réflexions.

Un mètre carré de surface habitable construit dans un emplacement central a une empreinte carbone plus faible qu’un mètre carré de surface habitable construit dans un emplacement non central. Cela est dû à la consommation de surface plus faible par habitant là où les terrains coûtent cher. Simultanément, la consommation d’énergie liée à la mobilité diminue par rapport aux sites excentrés. La densification urbaine offre en outre un mécanisme permettant de fixer un quota de logements abordables en fonction de l’utilisation supplémentaire générée. Une partie du potentiel d’utilisation atteint grâce à la densification urbaine peut être soustraite au marché et proposée comme logements à prix modéré.

Tous les acteurs sont appelés à lever le frein à la densification urbaine et à contribuer à ce que le processus reprenne son cours. Les villes et les communes doivent mettre en œuvre les potentiels disponibles sur leur territoire communal en augmentant les degrés d’utilisation et/ou en procédant à des changements de zone. Les derniers signaux en provenance de Berne concernant l’obstacle politique à la densification urbaine qu’est la protection contre le bruit sont également positifs, puisque le Conseil fédéral entend modifier la loi sur la protection de l’environnement pour supprimer l’autorisation exceptionnelle jusqu’alors obligatoire dans les secteurs exposés au bruit. Les investisseurs et les propriétaires fonciers devraient se saisir des instruments de la planification d’affectation spéciale là où les avantages justifient les coûts, afin d’élargir les possibilités d’utilisation. Le secteur de la construction doit adopter de nouvelles méthodes de planification et de fabrication afin de construire des bâtiments adaptés à l’économie circulaire et de préparer dès à présent le parc immobilier aux cycles de densification de demain.

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2023. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

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