« La souveraineté des données, quelle belle idée ! »

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Martin Strub, directeur du fonds immobilier suisse UBS (CH) Property Fund – Swiss Mixed « Sima », veut franchir une étape majeure dans la gestion durable de son immense portefeuille immobilier grâce à la numérisation. C’est sur le chantier du projet Grimselhof à Zurich-Altstetten qu’il nous explique quels sont les défis à relever et comment il se rapproche de cet objectif avec ses partenaires.

Zurich-Altstetten, par une grise journée de janvier. Martin Strub a fait le voyage depuis Bâle, où il a son bureau. C’est de là que le gestionnaire de fonds gère un impressionnant portefeuille d’immeubles dans toute la Suisse. Le Grimselhof est l’un des chantiers en cours d’achèvement. Une bonne raison pour visiter les lieux. Komplex était présent.

La façade du Grimselhof est encore recouverte de bâches, mais les premiers appartements devraient être occupés dès le 1er avril 2023.

Komplex : Qu’est-ce qui caractérise le fonds immobilier UBS « Sima » ?

Martin Strub : UBS « Sima » est l’un des plus anciens fonds immobiliers suisses, il a été créé en 1950 et s’est développé au fil du temps. C’est sa très large diversification, sur le plan géographique et par-delà tous les types d’usages, qui le distingue. Avec quelque 360 biens immobiliers et une valeur d’investissement de plus de 11 milliards de francs, l’envergure du fonds nous permet de nous attaquer à des projets complexes. En ce qui concerne les thèmes ESG que sont l’écologie, le social et la gouvernance, nous nous considérons à bien des égards comme des précurseurs. Ce succès, nous le devons avant tout à notre équipe, à la banque en arrière-plan et à un réseau de partenaires fiables.

Pour gérer un portefeuille aussi vaste, vous avez besoin de prestataires professionnels. Quelles tâches sont les plus importantes ?

Pour l’exploitation, il s’agit principalement des sociétés de gérance immobilière. Les locataires sont nos clients. Nous tenons à établir et à entretenir avec eux de bonnes relations à long terme. Les gérances sont proches des locataires et assurent le lien avec eux. Avoir un bon prestataire à ses côtés est donc la clé du succès.

Quels sont les plus grands défis à relever dans l’exploitation des biens immobiliers ?

Actuellement, l’ensemble du secteur est en pleine mutation. Nous sommes à la veille d’une étape importante en matière de numérisation. Dans la foulée, le profil professionnel des gestionnaires changera aussi considérablement. Dans l’idéal, ils auront plus de temps à consacrer aux préoccupations des locataires. Il est également clair que la manière dont nous avons travaillé jusqu’à présent ne sera plus possible à l’avenir.

En ce qui concerne la performance des différents biens immobiliers, quelles sont les exigences critiques posées aux exploitants ?

Il y a deux choses que nous devons garder à l’esprit. D’une part, le recours à la technique, qui nécessite un juste équilibre. Trop de technique pourrait dépasser les capacités de certains et entraîner des coûts inutiles. Mais trop peu ne serait pas non plus souhaitable en raison des opportunités manquées. D’autre part, il ne faut pas perdre de vue la dimension sociale. Les exigences auxquelles nous sommes confrontés ne cessent d’augmenter : que ce soit lors des constructions neuves, de la modernisation du parc existant ou de l’exploitation. Mon objectif est de maintenir la performance et les distributions du fonds à un niveau élevé et stable.

En tant que propriétaire, vous devez également maîtriser les coûts d’exploitation. Quel rôle les applications numériques jouent-elles à cet égard ?

Les nouveaux outils numériques nous permettent d’accéder à des données précieuses beaucoup plus vite, souvent même en temps réel. Jusqu’ici, nous devions attendre longtemps avant de pouvoir consulter les décomptes. Souvent, ils ne sont disponibles que l’année suivante. Les résultats des nouvelles applications nous permettent de tirer sans délai les conclusions nécessaires, de procéder immédiatement à des corrections, de prendre des mesures ou de lancer des projets.

La direction du fonds a défini comme l’un de ses objectifs la couverture complète des données pour tous les biens immobiliers d’ici 2030. Où en êtes-vous ?

Nous travaillons d’arrache-pied pour atteindre cet objectif, peut-être même avant cette échéance, ce qui nécessite des personnes engagées et des approches innovantes. J’espère que nous pourrons déjà franchir une étape majeure cette année. Mais il est important que tout cela se réalise à un coût raisonnable. La mise en œuvre est exigeante et ne sera pas possible dans les mêmes conditions pour tous les biens immobiliers.

Les plans sont vérifiés dans le bureau de chantier.
L’alimentation électrique sur le chantier.

Etes-vous satisfait de la qualité des données immobilières existantes ?

Je suis plutôt du genre impatient et jamais entièrement satisfait. Le chemin vers des données de très bonne qualité, et surtout à jour, est long et ardu. Mais nous sommes déjà assez loin. Nous disposons de la quasi-totalité des données concernant presque tous les biens immobiliers, même si leur qualité est très variable. Disposer de ces données est une chose. Travailler avec en est une autre. Ce n’est qu’en les interprétant que l’on peut déboucher sur des projets concrets, par exemple des mesures de rénovation.

Quelle plus-value la transparence des données en temps réel apporte- t-elle ?

Nous devons apprendre à connaître le bon volume de données. Qu’est-ce qui est important ? De quoi avons-nous vraiment besoin ? Travailler avec de grands volumes de données peut vite devenir trop lourd. Et parfois, elles finissent dans le fameux cimetière de données. Il faut donc faire preuve de discernement. Au fond, ce ne sont souvent que quatre ou cinq données qui nous sont réellement utiles.

Le gestionnaire d’actifs pourrait-il devenir un opérateur numérique dans un avenir proche ?

Aujourd’hui déjà, nous, les gestionnaires d’actifs, avons beaucoup de tâches à accomplir et peu de temps. Avoir la souveraineté de l’ensemble des données est une idée agréable. Hélas, cela nécessiterait beaucoup plus de personnel. C’est pourquoi nous devons déléguer là où c’est possible, sans perdre de vue l’objectif commun. Mais allez savoir, notre profil professionnel évolue lui aussi.

Quelles opportunités voyez-vous dans les nouvelles solutions numériques dans le domaine de l’exploitation ?

Il est rafraîchissant de voir tout ce qui se développe et s’expérimente actuellement. On me bombarde de propositions dans tous les domaines possibles. Pour les évaluer, je dois les examiner attentivement et me demander : « Qu’est-ce que cela nous apporte ? » Souvent, il s’agit de solutions insulaires qui s’avèrent finalement moins romantiques qu’elles ne le laissaient penser au départ. Nous avons besoin de solutions globales qui couvrent un maximum de besoins à la fois.

Où réside le défi dans l’évaluation de ces nouveaux instruments ?

Nous procédons à l’évaluation dans le cadre d’un dialogue. J’essaie toujours d’être honnête. C’est ce qu’apprécient également les personnes qui viennent nous présenter un nouveau produit. Au final, c’est moi qui suis responsable et qui dois décider, avec le risque de me tromper parfois.

Voyons cela de plus près avec le Grimselhof à Zurich-Altstetten, l’un de vos projets pilotes en matière de numérisation. Quels objectifs poursuivez-vous ici ?

Pour nous, ce projet est effectivement une sorte de prototype pour une gestion numérique cohérente. Nous voulons acquérir de l’expérience. L’approche qui consiste à représenter numériquement toute la chaîne des tâches et à ne pas simplement produire un tas de documents supplémentaires me plaît. Les locataires emménageront le 1er avril 2023, nous verrons alors si cela a bien fonctionné.

Le gestionnaire du fonds se rend lui-même régulièrement sur ses chantiers dans toute la Suisse.

Au Grimselhof, vous collaborez avec le prestataire de services immobiliers Tend AG. Comment cela s’est-il mis en place ?

Pour tous nos projets, nous lançons un appel d’offres neutre et regardons quels prestataires nous conviennent le mieux. Après divers contacts avec les acteurs pertinents du marché, nous avons décidé de lancer le projet pilote du Grimselhof avec Tend, une entreprise sœur de Halter SA. Il y a deux ans environ, nous nous sommes réunis pour la première fois et avons clairement identifié une plus-value. Comme nous, les responsables de Tend sont très entreprenants. Leur force d’innovation est manifeste et la collaboration est un plaisir.

Où en êtes-vous aujourd’hui en termes de numérisation ?

Nous avançons petit à petit. Au niveau des activités administratives classiques, les applications sont déjà assez abouties. La prochaine étape consistera à mettre en place des interfaces avec d’autres acteurs : les artisans qui soumettent des offres, les fabricants d’appareils avec lesquels nous devons résoudre des cas de garantie, ou les assureurs qui établissent une police. Mais ne l’oublions pas, les projets informatiques sont complexes et souvent sous-estimés.

Et qu’avez-vous encore sur votre liste de souhaits ?

Nous ne voulons pas juste surfer sur la vague, mais participer activement à façonner l’avenir. Selon moi, les thèmes prioritaires s’articulent autour de cinq axes : outre la numérisation et la visualisation, il s’agit bien sûr de la durabilité, puis de la pour- suite du développement en matière d’industrialisation, notamment le travail de bout en bout avec le BIM, mais aussi le développement de la construction en série, qui permet de produire à moindre coût et d’accélérer les projets de construction. Les avantages de la construction modulaire avec ses éléments standardisés peuvent être transposés aux logiciels. Le dernier point concerne la collaboration, que les différents acteurs doivent organiser efficacement afin d’atteindre des objectifs communs et ne pas rester bloqués, comme c’est souvent le cas.

Quels sont les défis à relever dans le parc immobilier existant ?

Souvent, les biens immobiliers plus anciens ne remplissent pas les conditions techniques nécessaires à la transition numérique. Là, il faut voir s’il n’est pas possible de mettre malgré tout en place une nouvelle technique à un coût raisonnable. Parfois, on rencontre des résistances externes, par exemple quand la compagnie d’électricité n’est pas prête à travailler avec des appareils intelligents.

Venons-en aux sujets importants que sont la durabilité, la réduction des émissions de CO2 et la protection de l’environnement. La direction du fonds a récemment fixé des objectifs ambitieux. Qu’est-ce qui les a motivés ?

Ces thèmes nous préoccupent depuis des années, mais ils ont clairement gagné en importance ces derniers temps. La société est prête à accepter des mesures. Je me réjouis que le fonds UBS accorde plus de poids aux critères ESG. Cela nous soutient dans le domaine de l’immobilier. Mais nos investisseurs, qui y accordent de plus en plus d’importance, nous le demandent également.

Quels sont les objectifs concrets de votre vaste portefeuille ?

D’ici 2030, nous entendons réduire les émissions de CO2 de 50% par rapport au niveau de 2019 et ne plus utiliser de combustibles fossiles pour l’exploitation. D’ici 2050, nous voulons atteindre la neutralité climatique avec un bilan zéro net. Nous concrétisons la trajectoire de réduction que nous tenons absolument à respecter à l’aide d’une liste de mesures. Pour moi, il est important que nous agissions et que nous ne nous contentions pas d’en parler. Cela exige de garder le cap sur l’objectif ambitieux et de ne pas nous perdre dans les détails.

Vue de la cour intérieure du Grimselhof. C’est ici que se rencontreront bientôt les habitants et que joueront les enfants.

Cela coûte cher. D’où viennent les fonds nécessaires ?

Nous devons accorder de la valeur à la durabilité et être prêts à payer pour ça. Nous essayons d’échelonner les investissements et d’en prévoir les fonds dans la planification pluriannuelle et dans les budgets.

Vous procédez à une évaluation interne de la durabilité aussi bien pour les biens immobiliers existants que lors de l’acquisition des nouveaux biens. Quels sont alors vos critères ?

Pour ce qui est des constructions neuves, les labels connus nous aident. Je n’en suis pas un grand fan, mais c’est la norme. Lorsque nous achetons des bâtiments existants, nous effectuons l’analyse à l’aide de checklists. Généralement, on voit tout de suite ce qui est nécessaire et où.

Quels sont les autres défis qui vous attendent à l’avenir ?

Le cadre réglementaire est un aspect que nous surveillons en permanence. Ici, nous devons tenir compte de directives de plus en plus complexes. Mais nous nous préoccupons également du discours social, par exemple sur la question des logements abordables ou les préjugés à l’égard des investisseurs immobiliers. Nous souhaitons agir de manière responsable et nous confronter au débat.

Une dernière question : où voyez -vous UBS « Sima » dans cinq ans ?

Dans un sens, UBS « Sima » représente le secteur de l’investissement immobilier en Suisse. Notre structure héritée du passé confère une certaine stabilité au fonds. Le monde continue de tourner, mais je présume que dans cinq ans, nous serons toujours le fleuron des fonds immobiliers d’UBS. J’espère que mes successeurs pourront en dire autant un jour, lorsque le fonds fêtera ses cent ans.

Martin Strub sur l’échafaudage. Le contact avec les ouvriers sur place est très important pour lui.

Martin Strub (54 ans)

est Managing Director et gestionnaire du fonds UBS (CH) Property Fund – Swiss Mixed « Sima », l’un des plus anciens et plus importants fonds immobiliers de Suisse. Le fonds a reçu de nombreuses distinctions au cours des dernières années. Martin Strub a été initié très tôt à l’immobilier. Son père, qui était entrepreneur en bâtiment, emmenait son fils sur les chantiers dès son plus jeune âge. Au cours de sa carrière, il a acquis une vaste expérience dans la planification, la construction et la gestion immobilière. Il travaille pour le fonds UBS depuis 2007. Martin Strub est marié et vit avec sa famille dans le canton de Soleure.
www.ubs.com

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2023. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

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