Sur les traces de James Bond

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Damian Poffet
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RBA Architekten
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Au Bollwerk, juste à côté de la gare de Berne, Halter rénove actuellement un bâtiment historique de la vieille ville selon les plans des architectes RBA. Construit à la charnière entre l’historicisme et le modernisme, il présente des éléments de design des deux époques. On y trouve également des traces des premiers propriétaires du bâtiment.

le bâtiment a été complètement recouvert d’un échafaudage et d’un filet de protection pour les travaux de rénovation qui se poursuivront jusqu’en août 2025.

Après l’averse, la rue brille, dominée par l’imposante église du Saint-Esprit de Berne. Des hommes et des femmes en manteaux se pressent sur le trottoir. En costume clair, un homme de grande taille se glisse entre la pharmacie et le Café Brésil pour entrer dans un immeuble commercial en pierre et rejoindre l’étude d’avocats des Frères Gumbold: la scène est celle d’un film de James Bond, Au service secret de Sa Majesté, sorti en 1969. Si le cabinet d’avocats que cherchait 007 était fictif, la pharmacie du Bollwerk existe encore aujourd’hui. En revanche, le café légendaire, connu en dernier sous le nom de Brésil Bar, a dû fermer ses portes à l’été 2024 pour le chantier de rénovation.

L’imposant bâtiment commercial avec sa façade en molasse de Berne a été construit en 1923 par les architectes bernois Zeerleder & von Ernst. La Genevoise Assurances sur la vie en était le commanditaire. (Photo: Bibliothèque de Genève, Atelier Boissonnas)

Préserver la substance

Ce monumental bâtiment d’angle face à la gare de Berne, mieux connu sous le nom de Genferhaus («Maison genevoise»), ne ferait pas un bon décor de film aujourd’hui: sa façade en molasse de Berne est cachée par un filet de protection semi-transparent de couleur pétrole, et son toit en croupe caractéristique est également protégé. Édifié en 1923 par les architectes Zeerleder & von Ernst, l’immeuble, qui appartient aujourd’hui à PSP Swiss Property, est en rénovation complète. Contrairement au film, il porte l’adresse Bollwerk 15 et fait partie d’une rangée d’immeubles inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1983, ceinturant l’ouest de la vieille ville. C’est la raison pour laquelle sa rénovation, confiée à Halter SA en tant qu’entreprise totale, est réalisée en étroite collaboration avec le service des monuments historiques, dans une volonté de préservation tant intérieure qu’extérieure.

Situation: issu du portefeuille de PSP Swiss Property, l’immeuble est situé à l’angle Bollwerk / Neuengasse, à l’ouest de la vieille ville, juste à côté de la gare de Berne.

Né au carrefour de deux époques, l’édifice revêt aujourd’hui une importance particulière: «Son expression relève surtout de l’historicisme, mais on y décèle aussi des éléments d’un langage formel plus moderne et épuré», explique Roman Arnold, de RBA Architekten, chargé de la planification. Ce bâtiment était à l’époque extrêmement moderne sur le plan technique: équipé d’un ascenseur, il disposait de planchers à hourdis, formés de nervures en béton armé et de blocs creux en terre cuite suspendus. Les fenêtres en plein cintre du rez-de-chaussée étaient déjà largement vitrées il y a un siècle.

Si la façade néoclassique suit une trame architecturale claire, conservée dans la rénovation, l’intérieur présentait une situation plus complexe. «Nous sommes tombés sur différents aménagements de locataires, réalisés à des époques différentes, et peu respectueux de l’existant», poursuit Roman Arnold. «En fonction de l’état de chaque pièce et de leur fonction, nous avons défini, en concertation avec le service de la protection des monuments, différents niveaux d’intervention.»

En fonction de l’état de chaque pièce et de leur fonction, nous avons défini, en concertation avec le service de la protection des monuments, différents niveaux d’intervention.
Roman Arnold, RBA Architekten
Elévation sud: la façade historique en molasse de Berne – ici sur la Neuengasse – sera remise à neuf. Les fenêtres et les vitrines seront elles aussi rénovées.
Elévation ouest: l’entrée centrale menant aux étages des bureaux se trouve dans la façade du Bollwerk. Dans la corniche en pierre, une inscription rappelle le nom du maître d’ouvrage initial.
Plan du rez-de-chaussée: l’entrée ovale avec son escalier se trouve au centre. Une pharmacie est située à gauche, deux établissements de restauration emménageront à droite.
Plan du 4e étage: chaque étage de bureaux sera loué séparément. Les salles de travail et de réunion seront alignées le long des façades donnant sur la rue.

L’imposante cage d’escalier, qui relie le hall d’entrée ovale du rez aux combles, est particulièrement bien conservée. Du marbre noir encadre l’accès à l’escalier et borde les marches en granit gris foncé. La rambarde est surmontée d’une main courante en laiton. Tous les éléments originaux sont de haute qualité, et on peut identifier le maître d’ouvrage d’origine en de nombreux endroits: au centre des croisillons en acier de la rambarde se trouvent de petits emblèmes, dont les clés, l’aigle et la couronne du blason de Genève: une référence à La Genevoise, compagnie d’assurance-vie, qui a fait bâtir l’immeuble.

Bientôt, les vastes corridors retrouveront un aspect proche de l’original. Situés au centre du bâtiment, entre l’escalier public et les bureaux plus privés qui donnent sur les deux rues, ils desservent aussi les espaces annexes de part et d’autre de l’escalier. D’un côté se trouve une kitchenette, de l’autre, les sanitaires. Orientées vers la cour arrière, ces pièces n’ont aucune valeur historique et pourront donc être entièrement rénovées et dotées des technologies actuelles.

Le Bollwerk est l’une des artères les plus animées de Berne. Sa situation privilégiée, directement à côté de la gare et en bordure de la vieille ville, rend le rez-de-chaussée idéal pour abriter des commerces de détail et des restaurants.
Certaines poutres de la charpente seront remplacées, tout comme certains chevrons. Pour conserver l’aspect d’origine, les anciennes tuiles plates seront réinstallées, et les lucarnes dotées de nouveaux toits en cuivre.

Des affectations spécifiques sous le toit

La toiture sera elle aussi rénovée en profondeur. Souffrant d’infiltrations d’eau, elle sera partiellement remplacée en conservant son apparence: les tuiles plates dites «en queue de castor» retrouveront leur place initiale, et les lucarnes seront dotées de couvertures en cuivre et de bardeaux. Contrairement à d’autres immeubles commerciaux de la vieille ville, les derniers étages de la Genferhaus ne sont plus habités. Ils ont été transformés en bureaux il y a déjà quarante-cinq ans avec des salles de conférence à l’étage supérieur, une décision sur laquelle on ne reviendra pas. Reliés par un nouvel escalier de bois, les deux niveaux formeront une unité locative, alors que les quatre autres étages seront loués séparément.

Pour la conception des espaces de bureaux, les architectes ont pris pour référence le 4e étage, mieux conservé. On y trouve encore de nombreuses frises et rosaces en stuc sur les plafonds blancs. Les armoires murales en bois sont particulièrement remarquables et assumeront une nouvelle fonction après les travaux: certaines d’entre elles seront équipées de ventilateurs passe-cloisons qui assureront un échange d’air optimal entre les couloirs et les bureaux.

L’entrée ovale, dans le style de l’époque, mène à un escalier jusqu’au-dessous du toit. Le marbre noir délimite les marches en granit gris foncé. Une riche frise en stuc embellit le plafond.
Le 4e étage, dont les stucs et les lambris étaient les mieux préservés, a été une référence pour les architectes chargés de restaurer les éléments anciens.
Les éléments classés monuments historiques de la cage d’escalier ont été recouverts avec soin pendant les travaux, comme la rambarde ornée d’emblèmes et la main courante en laiton.

Couleurs et signalétique en trait d’union

Au quatrième étage, on découvre également le travail du restaurateur, qui, avant le début des travaux, a dégagé les anciennes couches de matériaux et de peinture. Dans le couloir, un papier peint rayé aux teintes de vert et de jaune pâles est apparu. Reproduit par impression manuelle, il sera à nouveau présent à l’avenir. Les mêmes teintes devraient apparaître ailleurs, comme dans les kitchenettes et les sanitaires. Roman Arnold explique leur rôle: «La couleur servira de trait d’union, à ceci près que les nouveaux espaces afficheront des nuances plus vives que les bureaux et couloirs restaurés.»

Les inscriptions rappellent elles aussi l’époque de l’édification: les architectes ont trouvé une signalétique bilingue et ont décidé de la garder. Pour désigner les pièces et les étages, ils ont choisi des termes français compréhensibles en Suisse alémanique: «Toilettes», «Technique» ou «Privé» figureront désormais sur les portes. Avec une police sans empattement des années 1920, ils reflètent l’esprit moderniste qui caractérisait déjà les grandes enseignes vitrées du rez-de-chaussée.

Les étages de bureaux sont desservis par un couloir central – ici, tel qu’il apparaît pendant les travaux. Des portes de chaque côté mènent aux bureaux et espaces annexes.
La visualisation montre le résultat après la rénovation. L’armoire en bois au fond du couloir sera restaurée à l’identique et les portes seront vitrées.

En revanche, l’inscription gravée dans la corniche en pierre du bâtiment conserve ses empattements traditionnels. Ce témoignage emblématique des premiers propriétaires restera visible à l’avenir – mais il faudra d’abord que l’enveloppe temporaire du bâtiment soit retirée. Les travaux en cours ne laissent aucun doute: la Genferhaus sera bientôt à nouveau digne d’un décor de film. La pharmacie sera le seul commerce encore en activité depuis la création du bâtiment. À la place du Brésil Bar et d’une petite pizzeria, deux établissements de restauration ouvriront à l’automne 2025. Reste à savoir si une nouvelle étude d’avocats emménagera aux étages supérieurs – et si James Bond y trouvera un jour une nouvelle mission.

Zeeleder & Von Ernst

sont, d’après le Service des monuments historiques de la Ville de Berne, les auteurs de la Genferhaus, construite en 1923. A la même époque, les deux architectes ont participé au concours portant sur l’hôpital Lory, où ils ont remporté le 3e prix en 1924. Max Zeerleder (1880-1964) a étudié l’architecture à l’EPF de Zurich. De 1910 à 1915, en collaboration avec Walter Bösiger, il a dirigé un cabinet d’architecture à Berne. Outre le siège de BKW Energie à la Viktoriaplatz, ce bureau a conçu plusieurs illas sur la Kirchenfeldstrasse, dont le numéro 88, qui abrite aujourd’hui l’ambassade du Canada.

RBA Architekten

a été fondé en 2014 par Florian Rickenbacher, Severin Berchtold et Roman Arnold. Les trois partenaires se sont rencontrés pendant leurs études d’architecture à l’EPF de Zurich et emploient actuellement une quinzaine de collaborateurs sur deux sites à Olten et Berne. Le cabinet est principalement actif dans la construction résidentielle, mais il a aussi rénové plusieurs objets classés. Parmi ses réalisations issues de concours, on trouve le nouveau bâtiment de l’école Bünda à Davos, achevé en 2021, ainsi que l’école Grava à Savognin, en construction.

rba-architekten.ch

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2025. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

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