Pour une gestion plus ludique du terrain et de la valeur
Qu’est-ce qui influence la valeur d’un terrain? La réponse habituelle, et parfaitement correcte, est simple: l’emplacement, l’emplacement, l’emplacement. S’y ajoutent des facteurs comme les dispositions du droit de l’aménagement du territoire (p. ex. zone à bâtir ou densité de construction), la situation juridique (permis de construire disponible? procédure en suspens?) et des aspects techniques (site contaminé? sol de fondation?).
Jusqu’ici, rien à redire. Mais ce qui est curieux, c’est que la valeur du terrain comporte peu d’éléments dynamiques, dans un monde qui, lui, change très vite, avec des processus socioéconomiques souvent très complexes. Toutes les autres classes d’actifs et tous les produits financiers ont depuis été dynamisés, dérivés, synthétisés. Seul le terrain reste ancré dans un monde analogique d’un autre âge.
Mais peut-être que la valeur d’un terrain dépend bien davantage d’autres facteurs, beaucoup plus indirects. Quelques exemples:
À Rotterdam, le projet Brutus offre à des artistes et créatifs la possibilité de se loger et de travailler pendant quelques années sur une friche portuaire. En contrepartie, ils peuvent «tokeniser» leurs prestations, mais aussi leurs succès. Ensuite, le site est développé pour accueillir des logements de haut standing. Les créatifs peuvent alors utiliser leurs tokens pour combler l’écart entre le prix de location effectif et leur loyer plus avantageux. Ainsi, on empêche la gentrification, et le quartier reste «cool». Pour être précis, on capitalise ici sur l’augmentation du facteur «cool» pour déterminer, en partie, la valeur du terrain.
Un aéroport en Europe (dont le nom ne peut malheureusement être cité) dispose d’un vaste terrain à proximité des terminaux. Mais il n’a pas les fonds pour le développer. Cet aéroport reconnaît toutefois qu’il est assis sur un trésor nommé regulative advantage – c’est ainsi que le monde de la finance appelle la capitalisation sur les avantages réglementaires. En l’occurrence, ce vaste bien-fonds n’est soumis à presque aucune restriction d’utilisation (c’est donc une sorte de white zone), et les projets de construction peuvent s’y concrétiser beaucoup plus vite, sans les habituelles possibilités de recours. Telle est la valeur effective du terrain. Une société de développement adossée à des investisseurs permet à l’aéroport de percevoir une part considérable de la valeur effective du terrain sur la base de l’avantage réglementaire calculé, sans qu’il ait à investir de liquidités.
Et à Hongkong, on observe actuellement les premières tentatives de capitaliser également le phénomène du showrooming sous l’angle du revenu locatif. Le problème: les showrooms des marques (on connaît p. ex. les showrooms de marques automobiles au centre-ville de Zurich) ne génèrent guère de chiffre d’affaires, mais «seulement» de la valeur de marque. Or les marques ne sont pas souvent disposées à payer des loyers élevés – mais elles ont besoin de bons emplacements. Que faire? À Hongkong, un pourcentage des ventes en ligne de la marque sert de composant supplémentaire du loyer (un peu comme un loyer basé sur le chiffre d’affaires – mais de manière indirecte). La valeur de marque plus élevée obtenue par le showroom, et la notoriété de marque obtenue (également) par son bon emplacement, se traduisent par une augmentation des ventes en ligne. Ainsi, on capitalise un revenu indirect. Comme à Rotterdam, on pourrait aussi tokeniser l’augmentation de la valeur ou de la notoriété de marque, et utiliser ces tokens pour combler la différence par rapport au loyer effectivement souhaité.
La valeur du terrain ne se limite pas à son emplacement et ses caractéristiques; de nouvelles idées d’évaluation et une approche ludique de la valorisation vont émerger.
Ces trois exemples montrent que la valeur peut être une variable abstraite, presque indépendante de celle du terrain physique. Dans un monde toujours plus régulé, plus numérisé et plus virtuel, où même les machines généreront bientôt de la valeur, celle linéaire, analogique du terrain va par comparaison perdre en importance.
La notion d’emplacement ne va toutefois jamais entièrement disparaître. Ainsi, dans les premiers mondes virtuels du métavers, le bon emplacement reste paradoxalement la règle – alors qu’on peut téléporter ses avatars, et que la centralité ne joue en fait plus aucun rôle. Et pourtant: les biens-fonds les plus chers sont ceux proches des pôles d’attention et des places centrales. La leçon à retenir? La valeur du terrain ne se limite pas à son emplacement et ses caractéristiques; de nouvelles idées d’évaluation et une approche ludique de la valorisation vont émerger. Mais le monde ne va pas devenir tout numérique et synthétique: la Bahnhofstrasse restera la Bahnhofstrasse. Peut-être qu’à l’avenir, cette rue sera peuplée d’artistes fauchés, mais riches en tokens – ce serait vraiment cool.



