Sans Disruption, pas de Protection du Climat

Texte
Maik Neuhaus
Illustration
Dominique Wyss

« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent »

Cette citation est souvent attribuée à Albert Einstein, mais rien ne prouve qu’elle soit vraiment de lui. Néanmoins, elle se prête bien à l’analyse du débat actuel sur la protection du climat. Cet « autre résultat », ce sont ici les exigences de notre société lorsqu’il s’agit d’endiguer le réchauffement climatique en réduisant les émissions de CO₂ et en sensibilisant au développement durable. Il s’agit même d’obtenir un « résultat radicalement différent », à savoir la neutralité climatique d’ici 2050.

Cela concerne et affecte toutes les branches, et notamment notre secteur de l’immobilier et de la construction, en raison de leur fort impact en la matière. Croire que nous pourrons atteindre les objectifs très ambitieux définis de manière contraignante en faisant toujours la même chose relève de la folie, pour ne pas dire que cela s’avère sans espoir. Pour atteindre les objectifs, l’économie circulaire et les modèles d’approvisionnement, de traitement et de collaboration intégrés qui en découlent sont indispensables. Nous devons adopter des approches et des modes de pensée fondamentalement nouveaux, car l’optimisation des processus et des modèles (en cascade) établis, voire obsolètes, ne suffit pas.

Maik Neuhaus a effectué un apprentissage de dessinateur en bâtiment dans un bureau d’architectes à Fribourg. Après sa maturité professionnelle, il a étudié l’architecture à la Haute école spécialisée de Fribourg tout en travaillant dans un bureau d’architectes à Genève. Il a ensuite exercé comme promoteur immobilier chez Marazzi, avant de rejoindre Halter Développements en 2008. Il y a été responsable du développement et membre de la direction jusqu’en 2013. En 2014, il a rejoint Halter Prestations globales en qualité de responsable du développement et de l’acquisition. De 2019 à 2023, il a été directeur général de Halter Prestations globales et membre de la Direction du groupe. Depuis 2024, Maik Neuhaus est CEO de Halter SA.

Le paysage des processus, des contrats et des rémunérations doit changer radicalement

Des avancées majeures en matière d’efficience, d’efficacité et d’innovation sont nécessaires et doivent être encouragées et exigées en conséquence. A cet effet, il convient de créer les bonnes incitations et de parvenir à une harmonisation des intérêts de tous les intervenants. Cela nécessite des processus intégrés : l’intégration précoce et en temps opportun de tous les acteurs pertinents, ainsi que des modèles de contrat et de rémunération orientés vers les résultats et la performance, et qui les encouragent.

Le modèle de contrat et de rémunération conventionnel selon la SIA, qui caractérise encore (trop) fortement les processus dans la branche suisse de l’immobilier et de la construction, ne possède pas ces caractéristiques décisives. Basé sur la charge de travail et sur les coûts de construction (plus la charge de travail ou les coûts de construction sont élevés, plus la rémunération est importante), ce modèle crée de fausses incitations. De plus, il mène à une collaboration non intégrale, fragmentée et conflictuelle, freine l’innovation et la cohérence des données, des informations et du savoir-faire, et implique des processus plus longs ainsi que des coûts plus élevés. Autrement dit, il entraîne une utilisation inefficace des ressources (en personnel et en capital) et des résultats non optimisés. Ce gaspillage de ressources est diamétralement opposé à l’objectif de neutralité climatique évoqué plus haut.

La société est le véritable donneur d’ordre en matière d’augmentation de l’efficacité

Il arrive encore trop souvent que l’on procède selon des modèles dépassés – par peur, par commodité ou pour servir des intérêts particuliers – en ce qui concerne le déroulement des projets, l’acquisition de prestations ou de partenaires de projet, ainsi que la forme de collaboration. Il en résulte une rémunération qui est généralement trop basée sur les coûts et pas assez sur les résultats. On pourrait comparer les processus aux voyages en avion : quiconque réserve un vol ne paie que le voyage (sûr) jusqu’à la destination, et ce, indépendamment du fait que l’avion puisse y atterrir directement, qu’il doive effectuer des boucles ou peut-être même faire une escale imprévue dans un autre aéroport. Le prestataire, en l’occurrence la compagnie aérienne, ne peut pas facturer la durée de vol supplémentaire, jugée inutile par le passager (et qui, de surcroît, lui fait perdre son temps et l’agace). Il en va de même dans le sport, où une prime est attribuée pour la victoire lors d’un tournoi, d’une coupe ou d’un championnat, et non pour le nombre d’heures d’entraînement effectuées.

Cela doit être pareil dans notre branche : la rémunération ne doit pas porter sur les efforts fournis et les éventuelles boucles et détours, mais uniquement sur le résultat (optimal). Tous les intervenants sont ainsi incités dans la même mesure à atteindre des résultats optimaux de manière efficace et en économisant les ressources, et à contribuer à fournir les résultats exigés par la société et largement prescrits par la loi. Le véritable donneur d’ordre en matière d’augmentation de l’efficacité et de disruption est la société et non pas, comme le prétendent souvent les médias et la politique, les investisseurs, les maîtres d’ouvrage et les promoteurs soi-disant obsédés par le rendement. Ceux-ci ne font qu’assumer la tâche de l’exécutif pour l’objectif décidé. L’argumentaire courant selon lequel des résultats optimaux ne peuvent être obtenus qu’en se basant sur le modèle conventionnel des phases et, par conséquent, par une rémunération basée sur la charge de travail et les coûts (plus la charge de travail et les coûts sont élevés, plus les honoraires sont élevés), ne correspond à rien d’autre qu’à la volonté d’un groupe d’intérêt qui cherche à maintenir, à travers le protectionnisme et le lobbying, un modèle com- mercial et d’honoraires obsolète. Les dommages qui en résultent sont immenses et constituent (outre les interminables processus d’autorisation et les conflits d’intérêts dans le cadre des normes et des lois) l’un des plus grands freins à la neutralité climatique exigée d’ici 2050.

Concrètement, cela signifie que les contrats d’honoraires et les modèles de rémunération basés sur les coûts doivent être fondamentalement revus et formulés en prenant (davantage) en compte les performances et les résultats. Cela implique que le catalogue des prestations soit réglé de manière plus précise et plus spécifique au projet (compétence du mandant). Cela permet à toutes les parties impliquées d’évaluer et d’optimiser très précisément la charge de travail et donc les coûts. Le but recherché étant de pouvoir quantifier avec (plus de) précision, en termes de temps et de coûts, les prestations demandées par le mandant ou à fournir par le mandataire. Les prestations qui ne doivent être fournies qu’au cas par cas, éventuellement à plusieurs reprises, ne sont plus incluses dans les honoraires de base, mais seront rémunérées – si elles sont effectivement fournies – en tant que prestations supplémentaires (abandon du principe « tout inclus » au profit d’un princip « à la carte » ou « selon la consommation réelle »).

Par ailleurs, le système de malus établi aujourd’hui, dans le cadre duquel les prestations déficientes du mandataire sont déduites de sa rémunération, est difficile à accepter sur le plan psychologique et conduit de facto systématiquement à des conflits et à une mauvaise ambiance – que la réduction soit légitime ou non. En effet, le mandataire s’est calé sur les honoraires (maximum) définis au départ et peut y perdre beaucoup. Les modèles d’incitation dans le cadre desquels le mandataire peut gagner un peu plus s’il fournit des prestations conformément au contrat sont plus motivants et favorisent le partenariat. A cet égard, il est important que les objectifs à atteindre soient compréhensibles et mesurables pour les deux partenaires.

A la recherche de compétences avérées

Afin de parvenir à une exploitation optimale des ressources, il est essentiel que tous les partenaires du projet fournissent d’excellentes performances à chaque phase. Pour y parvenir, il est possible de faire appel à deux partenaires différents pour les deux disciplines (principales) que sont la conception et la planification de l’ouvrage – deux partenaires qui sont spécialisés et « premiers de classe » dans les compétences respectives. Bien entendu, il est important que l’ADN du projet et ses éléments qualitatifs et identitaires soient garantis par des processus d’assurance qualité appropriés. La branche doit s’ouvrir à des alternatives au modèle établi du « tout-en-un », dans lequel la conception et la planification de l’ouvrage sont assurées par un seul et même prestataire.

Il existe de nombreux acteurs extrêmement compétents qui peuvent, souhaitent et doivent continuer à fournir des prestations de conception et de planification de l’ouvrage de haut niveau (c’est-à-dire une solution tout-en-un), mais il en existe au tout autant qui sont incapables ou ne souhaitent pas fournir les prestations requises dans l’une ou l’autre discipline.

Nous devons sortir des schémas et des processus figés, faire confiance et oser innover – même si cela peut faire mal ponctuellement. Collectivement, en tant que branche, nous devons sortir de notre zone de confort des dernières décennies, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons atteindre les résultats quela société exige et que nous devons à notre environnement.

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2023. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

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