Faire converger conception et réalisation

Si l’on veut atteindre l’objectif climatique de zéro net dans le secteur de la construction, de nouvelles stratégies de planification s’imposent. Lors du concours portant sur le bâtiment du Lagerhaus, sur le site d’Attisholz, on a misé sur une procédure innovante de groupes de prestataires pour relever le défi.
Face à la demande du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de limiter le réchauffement de la Terre à 1,5 degré, le Conseil fédéral s’est, en 2019, fixé comme objectif d’équilibrer le bilan climatique de la Suisse d’ici à 2050. Cet objectif de zéro net signifie que la Suisse ne devra pas rejeter plus de gaz à effet de serre que ce que les réservoirs naturels et artificiels sont capables d’absorber. La loi sur le climat et l’innovation, qui comprend une feuille de route expliquant comment réaliser cet objectif, a été acceptée par la population en 2023 et entrera en vigueur le 1er janvier 2025.
L’objectif de zéro net oblige de nombreux secteurs économiques à repenser leurs activités et à changer de cap, notamment dans les secteurs des transports, de l’industrie et du bâtiment. Le parc immobilier représente 45% de la consommation énergétique suisse et génère un quart des émissions de gaz à effet de serre. Les émissions de CO₂ se répartissent pour moitié entre le chauffage au mazout ou au gaz, toujours utilisé, et l’énergie grise requise pour la construction des bâtiments. Les systèmes de chauffage aux énergies renouvelables ne sont qu’un levier pour réduire ces émissions. Les stratégies visant à diminuer l’énergie grise et les émissions grises sont tout aussi importantes. Il s’agit d’empêcher dans la mesure du possible les démolitions, de réaffecter les bâtiments existants et de ménager les ressources, mais aussi d’utiliser des matériaux de construction durables. Il faut donc également mettre en place l’économie circulaire dans le secteur du bâtiment, c’est-à-dire réemployer les éléments de construction et recycler les matériaux.
Planification de développement à long terme
Situé à 4 kilomètres en aval de Soleure sur les rives de l’Aar, le terrain de l’ancienne usine de cellulose d’Attisholz est l’un des plus grands sites en cours de transformation en Suisse. Halter SA l’a acquis en 2016 et a opté pour une planification de développement qui s’étendra jusqu’au milieu de ce siècle. Une telle stratégie permet de répondre à l’évolution inévitable des besoins et de ménager des marges de manoeuvre qui ne seront exploitées que dans le futur.
Le canton de Soleure a approuvé le plan d’affectation du site en 2021. Des mandats d’étude parallèles pour la conception des espaces ouverts ont alors été lancés. Ils ont été remportés par le groupement viennois formé par DnD Landschafts planung et FSA Architektur. Là aussi, pas de plan global qui fixerait tous les détails, mais plutôt une base urbanistique et paysagère pour les étapes à venir, assorties d’un objectif: identifier, préserver et renforcer les caractéristiques du site. Un premier concours d’architecture pour la Kocherei, l’ancien bâtiment des lessiveurs – une procédure classique à un degré basée sur le dialogue – est alors organisé et remporté fin 2022 par le bureau d’architecture Burckhardt & Partner. L’étape suivante, le concours pour le bâtiment historique du Lagerhaus marquant l’entrée du site, s’est déroulée l’année dernière.
Le Design-Build dans le concours de groupes de prestataires
Pour ce projet, on a misé sur une procédure d’un genre nouveau, le concours de groupes de prestataires. Dans le secteur du bâtiment, l’objectif de zéro net ne peut être atteint que si l’on accorde une priorité absolue aux questions de mise en oeuvre et d’économie circulaire. De l’avis de Maik Neuhaus, CEO d’Halter SA, le modèle habituel de prestations en six phases de la SIA n’est guère adapté: le projet architectural se situe au début, l’adjudication et l’exécution ne sont décidées que plus tard. Le modèle de Design- Build intégré incarne une alternative: les entreprises exécutantes sont impliquées dès la phase de planification de sorte que la conception et la réalisation ne présentent plus de rupture, mais convergent. Les principaux intervenants sont réunis autour de la table dès le début du projet. La numérisation permet de simuler les résultats à un stade précoce et de tenir compte d’emblée des objectifs pratiques d’une construction durable. Non seulement on gagne du temps, mais les différents acteurs en tirent aussi un avantage, comme le souligne Ivo Schmidt, responsable du développement et de l’acquisition de Halter Prestations globales:
Le concours de groupes de prestataires est intéressant pour les entreprises, puisqu’elles peuvent se distinguer grâce à des idées innovantes sans se retrouver dans une pure lutte concurrentielle basée sur des plans de détail prédéfinis. La procédure permet aux maîtres d’ouvrage de sélectionner les meilleurs concepts pour leur projet de construction.Ivo Schmidt
Enveloppe du bâtiment et façade
Afin de proposer des appartements et des surfaces de services durables et de qualité sur le site d’Attisholz, le projet du Lagerhaus comprend plusieurs composantes: la rénovation du bâtiment lui-même, une construction de remplacement adjacente et trois bâtiments posés sur un niveau intermédiaire reliant le nouveau à l’ancien.
Les concours de groupes de prestataires peuvent adopter différentes configurations. Dans ce cas précis, l’enveloppe du bâtiment et la structure porteuse ont fait l’objet d’appels d’offres distincts et été évaluées séparément. Le projet d’enveloppe du bâtiment de Blumer Lehmann, dont l’architecture a été mise au point par Stücheli Architekten, a séduit le jury par sa posture sereine et une insertion réussie dans le site. Le concept de structure porteuse mise sur une part élevée de bois dans les surélévations. Le jury a dans l’ensemble salué l’idée, mais des problèmes de rentabilité sont apparus, les coûts étant nettement supérieurs aux objectifs fixés par Halter.
C’est pourquoi le projet a, dans un second temps, été comparé à celui d’Anliker AG qui présente deux variantes de structure porteuse: l’une recourant à des dalles et des murs en bois lamellé-croisé, l’autre, massive, mettant en oeuvre des planchersdalles de 20 centimètres et des poteaux préfabriqués en béton armé constitué d’une part élevée de matériaux recyclés. Même si la solution en bois affiche des émissions de CO₂ inférieures, la version classique a marqué des points à plus d’un titre: pour l’énergie primaire, les propriétés physiques de construction (isolation phonique, accumulation de chaleur), la flexibilité des plans et les coûts de conception.
Selon Maik Neuhaus, on mise désormais de plus en plus sur des procédures de groupes de prestataires sur les sites où Halter intervient en tant que prestataire global. Certes, de nombreux maîtres d’ouvrage sont, d’après lui, encore réticents et certains architectes se montrent sceptiques, car ces procédures font vaciller l’image de véritables concepteurs qu’ils ont d’eux-mêmes. Le concours de groupes de prestataires ne peut fonctionner que si tous les participants se considèrent comme des équipiers à égalité.