«Nous construisons pour proposer des espaces abordables»

A Berne, Impact Immobilien AG développe des projets pour des institutions sociales en créant des logements et des espaces de vie abordables et qui apportent une plus-value à la société. Son directeur, Daniel Kusio, adopte, avec des partenaires de prestations globales tels que Halter, l’approche « design-to-cost ». Rencontre à l’hôtel de soins Geras, près de Bienne.

L’économiste d’entreprise Daniel Kusio devant le Geras Pflegehotel à Sutz-Lattrigen.

Daniel Kusio se tient devant l’entrée de l’hôtel de soins Geras à Sutz-Lattrigen, au bord du lac de Bienne, et il est visiblement heureux – de la visite, du temps radieux en ce jour de printemps 2020 et aussi du projet de construction réussi qui se dresse derrière lui. Il s’agit d’un des projets d’Impact Immobilien, dont les derniers travaux viennent d’être achevés. Au départ de Bienne, nous avons emprunté les chemins de fer locaux du Seeland pour l’interview. La gare est située juste en face des bâtiments du nouveau centre de soins – pratique pour les résidents comme pour les visiteurs.

KOMPLEX : Que signifie le mot « impact » dans le nom de votre entreprise, quels impacts cherchez-vous à produire ?

Daniel Kusio : Tout a commencé par le désir de nous impliquer dans la question du logement. Le logement est l’un des besoins fondamentaux des êtres humains, il concerne chacun d’entre nous. Et beaucoup de gens ont du mal à satisfaire ce besoin. Les personnes âgées, seules, pauvres ou les personnes handicapées en particulier ont des difficultés à trouver un logement adéquat et abordable.

C’est un souhait noble de prime abord.

L’idée est venue d’Invethos AG, un gestionnaire d’actifs à vocation éthique dont les clients veulent allier sens social et sens financier. Nous nous référons aux directives des Nations Unies. La Charte de Genève des Nations Unies sur le logement durable, qui s’appuie sur les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé, appelle à garantir l’accès de tous à un logement adéquat, convenable, abordable et sain. La Charte met donc la question au même niveau que l’eau potable ou l’accès à l’éducation. Bien entendu, les conditions ici sont différentes de celles des pays en développement ou émergents. Mais en Suisse aussi, un engagement est nécessaire pour aider les plus faibles à trouver un logement adéquat.

Cette tâche n’incomberait-elle pas plutôt aux pouvoirs publics ?

Les institutions qui proposent un logement encadré et accompagné reposent souvent sur une base privée. Bien que la Confédération, les cantons, les communes et les services sociaux contribuent financièrement à ces projets, leurs investissements dans le passé n’ont pas été suffisants et ils s’appuient sur des institutions d’utilité publique telles que les fondations. C’est là qu’Impact Immobilien intervient.

Un lit fonctionnel dans une unité de soins.
Coin salon confortable dans la zone commune.

Pourquoi de nouveaux investissements sont-ils nécessaires ?

En fait, les exigences posées à ces institutions ont considérablement augmenté. En termes de construction, par exemple, concernant l’accessibilité, la taille des pièces ou la protection incendie. De nombreuses institutions plus anciennes ne sont plus considérées comme adaptées aux personnes handicapées selon les normes actuelles. Quant aux exigences posées aux exploitants, elles augmentent également, pour le taux de prise en charge, par exemple.

Quelle est votre contribution ?

Avec Impact Immobilien, nous essayons d’apporter une réponse entrepreneuriale aux défis sociaux et de proposer des solutions permettant aux promoteurs de se concentrer sur leurs tâches principales. Nous investissons dans des projets existants et nouveaux pour les institutions sociales, en créant des logements et des espaces de vie modernes et abordables. Nous acquérons, développons, réalisons et rénovons des immeubles pour des institutions sociales et publiques et les louons à long terme à des conditions abordables.

Nous sommes les seuls en Suisse à poursuivre cet objectif.

Quel est l’ordre de grandeur de vos projets ?

Chaque objet ou projet est différent. Le volume d’investissement dépend des objectifs et de la taille et varie de quelques millions à environ 25 millions de francs. C’est une niche. Nous sommes les seuls en Suisse à poursuivre cet objectif.

Comment avez-vous connaissance de tels projets ?

Souvent, les promoteurs ou les conseils de fondation nous contactent directement avec une idée, une tâche concrète ou un projet déjà entamé. La plupart du temps, il s’agit d’améliorer, de rénover ou d’agrandir l’infrastructure. Par exemple, il y a un besoin urgent d’espace pour lequel une nouvelle construction est envisagée. Ou alors, il y a eu un concours d’architecture, et le projet de construction est devenu beaucoup trop cher.

C’est alors que vous intervenez et proposez votre aide ?

Je ne suis pas architecte. Je pense en entrepreneur. Nous examinons donc le budget existant et les futurs frais d’exploitation. Souvent, il est possible d’optimiser pas mal de choses. Et nous construisons de manière que cela soit abordable, mais sans être bas de gamme. Vous pouvez économiser beaucoup d’argent en répartissant intelligemment l’espace, en évitant des vitrages et zones de circulation superflus ou en choisissant soigneusement les matériaux.

Combien ?

Je vais vous donner un exemple : pour un EMS ordinaire, les frais de construction moyens par unité de soins s’élèvent généralement à environ 320 000 à 400 000 francs. Il faut se conformer à toutes les réglementations, normes et directives de construction en vigueur. A l’hôtel de soins Geras que nous avons construit et récemment ouvert au bord du lac de Bienne, ce chiffre n’était que d’environ 255 000 francs.

Sans aucun compromis ?

En collaboration avec Halter, notre partenaire de prestations globales, nous avons examiné chaque détail et ainsi pu économiser 1,8 million de francs par rapport au montant initial du projet. Par exemple, en supprimant un sous-sol, en ajustant les vitrages et la façade ou en optimisant les systèmes de chauffage et de ventilation. Nous avons placé une partie de la technique du bâtiment sur le toit. Il n’y a pas eu de sacrifice en termes de confort – au contraire.

Un restaurant est à la disposition de tous les résidents de l’hôtel de soins Geras. En été, les repas peuvent être pris sur le balcon.

De tels ajustements n’entraînent-ils pas des retards ?

Non, mais les délais posent toujours un défi. Les projets du secteur public demandent un long horizon de planification et des appels d’offres publics. Souvent, six à huit ans s’écoulent entre l’idée et la réception. Nous essayons d’y parvenir en deux à trois ans sans que la fonctionnalité en souffre.

Sur quelles utilisations sociales vous concentrez-vous ?

Jusqu’à présent, nous avons mis l’accent sur des projets à forte proportion de logements, notamment pour les personnes avec handicap ou ayant des besoins particuliers. La construction d’un logement pour personnes atteintes d’autisme nécessite une approche différente de celle, par exemple, d’un logement pour personnes âgées et handicapées. Les formes mixtes dans lesquelles nous voulons investir davantage m’intéressent également. A Suhr, dans le canton d’Argovie, nous travaillons avec la fondation Töpferhaus sur un projet qui se concentre sur les emplois pour les personnes handicapées. Un site de production alimentaire est prévu, ainsi qu’une cafétéria ouverte au public et des logements. Un autre exemple : à Gümligen, près de Berne, nous travaillons avec la fondation Nathalie à la construction d’un nouveau bâtiment scolaire avec un centre de conseil et un internat moderne pour enfants autistes. La première pierre a été posée à la fin du mois de février.

Ces fondations ne pourraient-elles pas construire elles-mêmes ?

Il existe des institutions qui peuvent elles-mêmes mettre en oeuvre une telle chose au niveau financier. Mais avec notre approche « design-to-cost », nous offrons une valeur ajoutée dans de tels projets d’infrastructure et n’avons pas peur des tâches complexes. Nous pouvons le démontrer avec des références. C’est pourquoi il peut aussi être avantageux pour de telles institutions de réaliser des projets avec nous.

Comment fonctionne l’approche mentionnée ?

En théorie, l’approche « design-to-cost » signifie concevoir et construire en fonction des coûts dans des conditions-cadres données. Pour le développement d’immeubles, cela signifie réaliser une surface spécifique avec un budget donné. Cela inverse l’approche habituelle des architectes ou des concours qui conçoivent des espaces avant de calculer les coûts. Nous ne construisons pas pour nous-mêmes, mais pour des institutions sociales. Le point de départ est donc toujours la question : que pouvons et voulons-nous nous permettre en tant qu’institution ?

Pourquoi y a-t-il des restrictions budgétaires ?

Les institutions qui facturent des prestations via le secteur public, l’assurance-invalidité ou des prestations complémentaires à l’AVS doivent travailler dans le cadre des budgets existants et pouvoir se fier à une enveloppe budgétaire. C’est pourquoi nous travaillons avec des fournisseurs de prestations globales qui nous donnent les garanties correspondantes.

Qui veille à la maîtrise des coûts ?

Cela se fait grâce au partenariat entre toutes les parties impliquées. Les représentants des fondations apprécient la transparence que nous créons en termes de coûts. Ils sont présents aux réunions et participent aux décisions : avons-nous vraiment besoin de ceci ou de cela, que pouvons-nous laisser de côté ? Cette réduction à l’essentiel est certainement l’un des facteurs de succès que nous apportons aux projets avec un budget minimal. Dans l’ensemble, c’est un processus assez détendu pour tout le monde.

Dans nos projets, tous les décideurs discutent ensemble pour trouver la meilleure solution dans chaque cas.

Mais en fin de compte, le loyer convenu est calculé à partir des coûts d’investissement.

Oui, mais tous ont un intérêt commun à maintenir des coûts d’investissement aussi bas que possible. La moitié des économies réalisées profite à l’institution, tandis que l’autre moitié va au prestataire global avec sa grande expérience. Ce dernier bénéficie donc d’une marge équitable pour garantir un plafond de coûts et assumer les risques. Dans nos projets, tous les décideurs discutent ensemble pour trouver la meilleure solution dans chaque cas. En impliquant les architectes, les institutions et les futurs usagers, nous obtenons un niveau élevé de fonctionnalité et un design attrayant.

Un facteur de coût important est le prix du terrain. Les terrains à bâtir sont chers.

Il n’est pas rare que les promoteurs disposent déjà de parcelles. Souvent, ce sont aussi les communes qui mettent leurs réserves de terrains à bâtir à disposition pour des utilisations judicieuses. Lorsque nous pouvons construire dans des zones à usage public, le prix du terrain est moins élevé. Les bourgeoisies et les Eglises aussi possèdent souvent des terrains à bâtir. Le cas échéant, nous reprenons également le terrain en droit de superficie. Nous accordons généralement aux institutions un droit de préemption. Selon le propriétaire du terrain, nous recevons alors une rente réduite de droit de superficie adaptée au but, que nous pouvons répercuter en toute transparence. Notre intérêt s’inscrit sur le long terme. Le droit de superficie s’y prête.

Les deux bâtiments ovales, ceinturés de balcons, ont été conçus par kpa Architekten.

Impact Immobilien est organisé comme une société immobilière. Qui sont vos investisseurs ?

Il s’agit, d’une part, de fondations d’utilité publique qui souhaitent investir dans des domaines associés et, d’autre part, d’investisseurs privés qui souhaitent apporter une plus-value sociale. Ce faisant, ils visent un rendement modéré et adapté à l’objectif. Les objets de notre portefeuille sont visibles par tous et peuvent être visités. Cela permet aux actionnaires de mieux comprendre ce que nous et les institutions sociales faisons, et très souvent de l’apprécier réellement. Nous ne nous concentrons pas sur la maximisation des profits ou sur l’augmentation de la valeur du portefeuille, mais plutôt sur l’impact de notre travail.

Quel soutien recevez-vous en interne ?

Au niveau opérationnel, nous formons une équipe bien rodée. Au sein du conseil d’administration, je peux compter sur l’expertise de plusieurs spécialistes renommés et très expérimentés dans les domaines de l’immobilier et de la finance. Pour n’en citer qu’un : Adrian Lehmann, qui a travaillé au Credit Suisse dans le secteur immobilier pendant de nombreuses années, est toujours à mes côtés comme un mentor important.

Nous veillons à apporter le moins de changements possible durant la phase de construction.

Qu’est-ce qui vous distingue encore des sociétés immobilières « ordinaires » ?

D’une part, la taille. Nous sommes volontairement actifs dans un segment particulier et avons une forte proportion de fonds propres. D’autre part, nous considérons que notre tâche réside dans le développement de projets. Une caisse de pension qui doit investir ses fonds préfère rechercher et acquérir des biens d’investissement prêts à l’emploi et les intégrer dans son portefeuille. Nous nous concentrons sur les avantages pour nos partenaires et sur les coûts. Nous veillons à apporter le moins de changements possible durant la phase de construction. Parce que cela coûte cher. Certains secteurs de la branche de la planification ne vivent que de ces changements. Mais en fin de compte, quelqu’un doit toujours les payer. Nos projets doivent être raisonnables et bien planifiés dès le départ.

Vous avez mentionné le partenariat avec Halter SA.

Nous avons une philosophie similaire et nous nous apprécions mutuellement. Nous voyons tous les deux les avantages de l’approche « design-to-cost ». C’est une cooperation respectueuse d’égal à égal, nous travaillons ensemble de manière très professionnelle. Pour nous, il est important que nos partenaires puissent et veuillent s’impliquer dans des projets plus modestes, comme c’est également le cas chez nous. Mais il n’y a pas de coopération exclusive. Pour chacun de nos projets, je demande plusieurs offres. Le concept doit être convaincant.

Quelles sont vos motivations personnelles ?

Je suis vraiment reconnaissant d’avoir pu assumer cette tâche et fier de ce que nous réalisons ensemble. J’apprécie les relations personnelles et je suis heureux que notre idée de concilier utilité et rendements fonctionne.

Où voyez-vous Impact Immobilien dans quelques années ?

Pour nos investisseurs, j’ai récemment fait des projections à ce sujet. Avec nos projets actuels, nous avons atteint un volume d’investissement de 120 millions de francs environ. Dans quelques années, si nous continuons à mettre en oeuvre deux ou trois projets par an, cela pourrait représenter 500 millions de francs. Mais la croissance en soi n’est pas notre objectif. Nous voulons continuer à nous engager dans des projets. C’est l’estime que nous portons à nos partenaires et l’approche consistant à travailler avec eux sur un pied d’égalité qui me motivent.

– Daniel Kusio arpente les abords de l’hôtel de soins Geras à Sutz-Lattrigen. Le centre du village et le lac de Bienne ne sont qu’à quelques pas.

Daniel Kusio (51 ans) est directeur général d’Impact Immobilien AG, à Berne, une société qui investit dans l’immobilier pour les institutions sociales et offre une plus-value sociale par le biais de logements et d’espaces de vie abordables. Daniel Kusio a étudié la gestion d’entreprise à l’Université de Berne. Sa carrière l’a conduit dans de grandes entreprises et dans plusieurs pays. Avant de fonder Impact Immobilien AG en 2012, il a travaillé dans le domaine du private equity et du venture capital.

impact-immobilien.ch

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2020. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

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