« Nous devons trouver une voie suisse»
La transformation du bâtiment situé au 12 de la Theaterstrasse s'effectue selon les principes de Design-Build, un nouveau modèle de gestion de projet intégrée. Venu des pays anglo-saxons, ce modèle repose sur une juxtaposition des phases de conception et de construction. Les entreprises exécutantes sont impliquées très tôt dans le processus de planification. Ingemar Vollenweider évoque son expérience et celle de son bureau avec le modèle Design- Build mis en oeuvre par Halter SA.

Komplex: Qu’est-ce qui a éveillé votre intérêt pour la transformation de la Theaterstrasse 12?
Ingemar Vollenweider: Tout d’abord le lieu bien sûr, l’emplacement spectaculaire sur la place du Sechseläuten. Puis la typologie du bâtiment et la recherche de son identité. En plus de la construction de logements, l’immeuble commercial a été un moteur de l’architecture moderne. Souvent issu du regroupement de plusieurs parcelles, il a engendré les premiers «mursrideaux », soit des façades qui forment autour du bâtiment une enveloppe extérieure indépendante de la structure porteuse. Il s’agissait donc de trouver une identité contemporaine pour ce type-ci. Enfin, l’ouvrage lui-même et la tâche de construction associée nous ont intéressés. Depuis longtemps, les rénovations du bâti existant jouent un rôle majeur au sein de notre bureau. Transformer l’immeuble ayant subi les assauts du temps et se confronter à son architecture des années 1970, assez revêche, est stimulant.
Le réaménagement de la façade est un thème central. Pourquoi a-t-il une fonction si particulière?
La façade est un trait d’union entre l’espace public et l’espace privé, elle allie les besoins de l’utilisation et les exigences de la société. Cette complexité transparaît aussi dans notre projet. La nouvelle façade qui remplacera ou complétera l’ancienne est constituée d’éléments en béton coulé sur place, en aluminium et en pierre naturelle. Aucun entrepreneur n’aurait pu se charger seul de la réalisation de ce système complet aux multiples composants. Qui, dans ce cas, allait planifier l’enveloppe du bâtiment jusqu’à l’appel d’offres? La question s’est posée. Nous avons finalement réalisé la planification entièrement nous-mêmes et l’avons affinée avec les entrepreneurs après l’appel d’offres.
Le modèle Design-Build a été appliqué dans la suite du projet. D’origine anglo-saxonne, il est également utilisé en Suisse depuis quelques années. Quelles sont les améliorations qu’il promet?
Dans les projets, nous constatons souvent des lacunes entre la planification et l’exécution. Nous sommes alors obligés de reprendre certains processus du début, ce qui est bien sûr fastidieux. Le nouveau modèle recèle un potentiel d’amélioration, car si les entrepreneurs sont impliqués à un stade précoce, la direction des travaux l’est aussi. Dans le cas de la Theaterstrasse, les responsables de Halter Rénovations ont été partie prenante dès le début et n’ont jamais perdu de vue la mise en oeuvre. Dans le modèle Design-Build, Halter assume de nombreuses tâches qui nous incombaient dans le modèle classique, comme la préparation du chantier ou les mises au point du côté des autorités. Grâce à cette nouvelle répartition, nous pouvons nous concentrer davantage sur nos compétences clés. Le développement rapide des projets présente d’autres avantages: la courte durée de planification réduit la perte de connaissances, par exemple en raison de la rotation des effectifs. Elle nécessite également moins de communication, limitant ainsi le taux d’erreurs. Le projet est structuré de manière pragmatique et ciblée. Nous ne produisons en fin de compte que ce dont nous avons véritablement besoin.
La responsabilité de la planification et de l’exécution incombe par conséquent à la même entreprise. Comment garantir malgré tout la qualité?
En effet, le prestataire global a un rôle plus important encore qu’auparavant, étant donné que le contrôle des entrepreneurs par les directions de travaux spécialisées, mandatées séparément, n’est plus à l’ordre du jour. Halter possède cependant une section d’ingénierie interne ou confie un mandat d’assurance qualité à des spécialistes externes. Dans le cas de la transformation de la Theaterstrasse, nous avons expliqué en détail l’architecture que nous projetions à la direction de projet afin de lui permettre de réagir rapidement et prendre des décisions de manière autonome. Pour ce faire, la direction de projet doit comprendre nos idées et les systèmes mis en place. Parfaitement consciente de l’emplacement unique de l’immeuble, Halter a également toujours promu un haut niveau de qualité pour la façade. Une qualité que l’on exige désormais systématiquement des entrepreneurs.
Une chose est sûre: suivant ce modèle, les personnes impliquées dans la direction de projet doivent être des généralistes, tout comme l’architecte. Il est alors possible de garantir le contrôle de la qualité.
Où en est-on dans la standardisation? Aux Etats-Unis, pays d’origine du Design-Build, ce processus est déjà bien avancé.
J’éprouve un certain malaise face à la standardisation. Lors d’une excursion avec des étudiants à New York, nous avons observé trois immeubles contemporains de grande hauteur conçus par trois bureaux différents et constaté qu’ils étaient pour l’essentiel tous pareils. Certains avaient peut-être peint les profilés de la façade d’une autre couleur, mais mis à part ce détail, tout était identique, y compris les fenêtres. Il n’est pas nécessaire de solliciter des planificateurs spécialisés ni même un architecte, les entrepreneurs peuvent s’en charger eux-mêmes. Le modèle Design-Build peut être parfaitement adapté à des projets de ce type, mais ce ne sont pas ceux que nous entendons mettre en oeuvre en Suisse. Je vois peu d’innovation dans l’architecture américaine de ces trente, voire quarante dernières années. Peut-être existe-t-il de nouvelles approches formalistes, mais pas de solutions qui relèvent les défis actuels en termes de construction ou de technologie. Les innovations qui exigent un mode de construction respectueux des ressources viennent actuellement d’Europe, notamment de Suisse et d’Autriche, comme dans la construction en bois.
La gestion de projet intégrée contient-elle en germe un risque de perte d’innovation?
Je comprends les préoccupations des différents acteurs du marché qui veulent élaborer des processus de planification plus efficaces. La standardisation qui vise une amélioration de la qualité est tout à fait pertinente. Néanmoins, j’attache une grande importance au processus dans lequel nous collaborons avec les concepteurs et les entrepreneurs chargés de l’exécution. Sans cette collaboration, un prototype comme notre projet pour l’Office bâlois de l’environnement et de l’énergie aurait été impossible. Cela étant, nous devons faire progresser notre branche. Si des prestataires globaux comme Halter s’engagent en faveur de nouveaux modèles pensés de manière globale, cela peut être bénéfique pour tous. Pour être à la hauteur des défis de notre époque, une culture du bâti dépassant la simple conception s’impose. Or il faut du temps pour une planification qui aboutisse à une mécanique bien rodée. Nous devons aujourd’hui réfléchir à la manière dont nous pouvons concilier les différentes exigences. Nous devons trouver une voie suisse pour maintenir notre force d’innovation et rester compétitifs.
En savoir plus sur le projet Theaterstrasse
L'article sur le projet de la Zürcher Theaterstrasse décrit le grand écart entre des surfaces pouvant être louées de manière flexible et une architecture expressive.