La force du numérique

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Damian Poffet

Les blocs sanitaires de l’hôtel situé dans la BäreTower à Ostermundigen ont été planifiés selon le principe « Design for Production ». Des robots se sont chargés de leur réalisation. Grâce à cela et à la planification numérique, les éléments de construction ont pu être fabriqués sur mesure et malgré tout en série. Un exemple qui a fait école, comme on peut le voir à l’EPF de Zurich. Les recherches qui y sont menées dans le domaine de la transformation numérique adaptée à la construction vont dans la même direction.

Le projet de la tour BäreTower a été approuvé lors d’une votation en 2015. Le site est bien desservi grâce à la gare située à proximité immédiate.
Le socle de la tour accueillera un hôtel de 95 chambres. Les blocs sanitaires préfabriqués de type Easydock ont été montés à l’aide d’une grue.
Les modules sont encore bien emballés. Dans une phase de construction ultérieure, ils seront déplacés vers leur emplacement définitif.
Un monteur de la société Erne place le bloc sanitaire dans la bonne position. Une opération qui exige une grande précision afin que tous les raccords correspondent plus tard lors de l’installation.

Vers le haut, vers le bas, en avant, en arrière, rotation à gauche, rotation à droite, découpe, prépositionnement, fraisage, perçage, vissage, clouage – le robot de fabrication d’Erne Holzbau travaille sans relâche. D’un côté, les charpentiers assurent l’alimentation en poutres et en panneaux de bois, de l’autre leurs collègues assemblent les éléments de construction fabriqués par le robot pour constituer des modules. Cette « collaboration homme-robot » a permis à la société Erne de réaliser 95 modules pour blocs sanitaires préfabriqués du type Easydock en juillet 2020. Ils ont été développés pour Halter AG en collaboration avec l’entreprise d’installations techniques Pfiffner et le fournisseur de solutions sanitaires Sanitas Trösch, pour le projet de construction BäreTower à Ostermundigen près de Berne, en réponse à l’appel d’offres des blocs sanitaires préfabriqués pour les chambres du futur hôtel Harry’s Home.

Le projet de tour est né en 2010. Moyennant une planification test, la commune souhaitait alors étudier les effets d’une future densification sur ce site à proximité immédiate de la gare d’Ostermundigen où était implantée l’auberge Bären. Cela donna lieu ensuite à un plan de quartier qui fut approuvé lors d’une votation en 2015 et qui prévoyait également la construction d’une tour. Halter a accompagné le processus dès la fin de la planification test.

Le projet actuellement en phase de réalisation est l’oeuvre du cabinet Burkhard Meyer Architekten de Baden. Il comprend une tour haute de 100 mètres, un socle de cinq niveaux et un bâtiment indépendant de trois niveaux. Ce dernier accueille des surfaces de bureau et commerciales. L’hôtel est implanté dans le socle, tandis que 155 logements locatifs sont prévus au-dessus et qu’un restaurant panoramique doit être créé au neuvième étage. L’investisseur de ce projet dont la construction a démarré en 2018 est Helvetia Assurances.

Production sur mesure en série

La question des blocs sanitaires préfabriqués pour l’hôtel s’est posée lors de la planification détaillée de la mise en oeuvre : « Nous avons fait ce choix en raison de leur haute qualité, de leurs coûts réduits par rapport à la construction traditionnelle sur le chantier, et de leur bon rapport qualité / prix », explique Dominique Reusser, chef de projet exécution chez Halter. De prime abord, cette décision n’a rien d’exceptionnel, les blocs sanitaires préfabriqués existent déjà sur le marché depuis des années. On y a généralement recours lorsqu’un grand nombre de salles de bain identiques doivent être installées dans un même bâtiment. Ce qui n’est pas le cas dans le projet BäreTower : ici, aucun des 95 blocs sanitaires ne se ressemble. Ils se distinguent tant au niveau du plan qu’en matière d’équipement. Si une préfabrication est néanmoins rentable, c’est grâce à la planification et à la fabrication numérisées, déjà appliquées depuis de nombreuses années par l’entreprise Erne. « Pour nous, le fait d’avoir à fabriquer un élément une centaine de fois ou bien une seule n’a aucune incidence dans la production », indique Steffen Hermann, chef de projet chez Erne. Le modèle informatique en trois dimensions des architectes a servi de base aux blocs sanitaires dans la tour BäreTower. Les planificateurs d’Erne l’ont complété avec les données de construction nécessaires. Chaque étape de fabrication a été reproduite virtuellement avant la transmission à la production : « Cela nous permet de vérifier que tout pourra être appliqué comme prévu et l’on évite ainsi les problèmes lors de la fabrication », ajoute Steffen Hermann.

Les blocs sanitaires fabriqués en série mais néanmoins sur mesure destinés à la BäreTower représentent la voie que devra emprunter la construction à l’avenir : abandonner la fabrication à l’unité sur place et s’orienter vers des éléments de construction produits en usine qu’il restera à installer ou à assembler sur le chantier – et ainsi, passer de la fabrication artisanale à la production industrielle. La transformation numérique jouera un rôle majeur dans cette évolution. Grâce à elle, les données pourront passer de la planification à la production sans risque de perte. De plus, la transformation numérique est vue comme la solution qui permettra aux secteurs de la planification et de la construction de relever les défis à venir : demande croissante de logements, densification de l’urbanisation, réduction de l’empreinte écologique des bâtiments.

La transformation numérique dans la planification et la construction fait actuellement l’objet de recherches approfondies – indépendamment des mises en pratique comme dans la BäreTower. C’est le cas par exemple des études menées à l’EPF de Zurich par Daniel Hall, professeur en gestion de la construction et des infrastructures au sein du département génie civil, et Benjamin Dillenburger, professeur en technologies de construction numérique dans le département construction. Leur objectif est de repenser complètement le processus de planification et de construction et d’en avoir une approche numérique. Le processus de planification extrêmement long et l’interface entre la planification et la réalisation ont été identifiés comme problématiques : « Aujourd’hui, il s’écoule presque une éternité entre les premières rencontres avec le maître d’ouvrage et le premier coup de pioche », explique Benjamin Dillenburger.

L’industrie automobile comme exemple

En recherchant de nouvelles solutions, les deux professeurs sont tombés sur un projet de l’industrie automobile datant de 1999. Des universités et entreprises anglaises avaient étudié de nouvelles manières de commander et de produire des voitures dans un programme intitulé « 3-Day-Car ». A l’époque, les véhicules étaient produits à l’avance et stockés jusqu’à ce qu’un client soit intéressé. Cette méthode occasionnait des coûts élevés, et l’acheteur devait se contenter du véhicule en stock. Le programme « 3-Day-Car » avait alors modifié le processus de planification et de fabrication : le client pouvait configurer sa voiture au gré de ses envies et se faire livrer trois jours plus tard. Des modifications avaient principalement dû être apportées au niveau du processus de commande et de la transmission des données à la production. « Le problème rencontré dans l’industrie automobile rappelle les points faibles actuels du secteur de la construction. Nous avons nous aussi des difficultés à saisir rapidement les souhaits des maîtres d’ouvrage et à les transposer dans la production », confie le professeur Daniel Hall. La solution s’appelle « Design for Production ».

Pour montrer l’étendue des possibilités à l’avenir, les professeurs Hall et Dillenburger ont lancé, par analogie avec le programme « 3-Day-Car », l’idée de la maison en sept jours, la « 7-Day-House ». L’objectif : sept jours doivent s’écouler au maximum entre le premier contact du maître d’ouvrage avec les architectes et l’emménagement. La 7-Day- House de l’EPF et une partie des technologies numériques nécessaires pour la réaliser ne sont encore qu’au début de la phase de développement. Cependant, les deux professeurs souhaiteraient, d’ici quatre ans, planifier et construire un premier petit immeuble ou au moins une partie en une semaine.

Monté et livré

Si la planification et la production des blocs sanitaires destinés à la BäreTower ont certes pris un peu plus de sept jours, elles sont cependant la preuve que la préfabrication quasiment en série de pièces uniques est possible. Dix jours seulement ont été nécessaires pour fabriquer les 95 modules avec blocs sanitaires. Le béton a été utilisé pour le socle, pour des raisons de stabilité et d’étanchéité. Les murs et les plafonds sont en bois. Les modules de construction bruts terminés ont été mis à disposition en continu dans un atelier voisin en vue du second oeuvre. C’est là que carreleurs, installateurs sanitaires, électriciens et menuisiers se sont attelés aux aménagements intérieurs. Puis les modules ont été expédiés, par groupes de cinq, à Ostermundigen. A leur arrivée, ils ont été levés par une grue jusqu’à leur niveau dans la tour et acheminés à l’aide de chariots élévateurs jusqu’à leur futur emplacement.

Obturés en toute sécurité, les cubes en bois attendent désormais l’achèvement des aménagements intérieurs des chambres et les premiers clients de l’hôtel. Ceux-ci profiteront d’une salle de bain parfaitement aménagée sans se douter qu’elle a été partiellement construite par un robot. Un bel exemple de l’étendue des possibilités qu’offre déjà aujourd’hui la transformation numérique dans le secteur de la construction. → www.bäre-tower.ch

Le sol des blocs sanitaires est en béton, les murs et les plafonds sont en bois. La pose des équipements sanitaires, du carrelage et des meubles encastrés a été réalisée dans l’usine d’Erne.

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2021. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

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