« L’essentiel, c’est de savoir ce que l’on veut »
PSP Swiss Property, l’une des principales sociétés immobilières cotées en bourse en Suisse, dotée d’un portefeuille de 8,6 Milliards de francs, réalise ses projets de construction avec différents modèles de collaboration. Son directeur des investissements, Reto Grunder, nous explique les situations dans lesquelles il s’estime heureux d’avoir un partenaire qui l’aide à relever les défis et soit en mesure d’assumer une partie du risque.
Le travail quotidien a aussi changé pour Reto Grunder en ces temps de pandémie. Comme la majorité des employés et partenaires externes de PSP Swiss Property, il est aujourd’hui en télétravail et participe aux réunions par visioconférence. C’est aussi grâce à la technologie numérique que s’est déroulé cet entretien. Notre photographe a néanmoins pu accompagner le directeur des investissements lors d’un voyage à Genève où il visitait un bien du portefeuille de PSP loué depuis l’automne 2020 à la chaine hôtelière néerlandaise CitizenM.
Komplex : La complexité des projets de construction s’accroît, la coordination des nombreux planificateurs et corps de métier est de plus en plus exigeante. Comment PSP accomplit-elle cette tâche en tant que maître d’ouvrage et investisseur ?
Reto Grunder : Notre cœur de métier est la location de nos surfaces commerciales, de bureaux et de services. PSP possède 160 immeubles commerciaux en situation centrale dans les pôles économiques de Zurich, Genève, Lausanne, Bâle et Berne. En parallèle, nous menons a bien de nombreux projets de développement, résultant soit de l’optimisation permanente de notre portefeuille, soit d’acquisitions. Pour nous, il est primordial que notre société dispose en interne des compétences fondamentales liées à l’ immobilier : la gestion d’actifs, l’exploitation, la commercialisation ainsi que le développement de la construction et de projets associés au génie énergétique et à la technique du bâtiment. Depuis l’automne dernier, nous sommes également présents dans le domaine des aménagements intérieurs, car la tendance vers les surfaces aménagées se confirme. L’association de ces compétences internes nous aide à surmonter cette complexité.
Mais tout ne se fait pas tout seul.
Les progrès technologiques et la transformation numérique conduisent à une spécialisation et, par conséquent, à des normes plus techniques. La complexité s’en trouve accrue, tout comme les efforts de coordination que cela demande. Nous disposons toutefois d’une vaste équipe qui nous permet de mener à bien les procédures complexes. Nous faisons également appel à des partenaires externes qui nous accompagnent, de l’idée a la réalisation. Ce qui nous importe, en tant que propriétaires, c’est de garder la situation bien en main.
A quels sujets devez-vous accorder une attention particulière ?
L’entretien et la rénovation des biens immobiliers de notre portefeuille constituent nos activités quotidiennes, des projets d’envergure peu spectaculaires. Nous constatons à quel point ces interventions soi-disant de routine peuvent aussi être des opérations exigeantes. Le progrès n’est toutefois pas le seul moteur. En tant que promoteurs, nous sommes soumis à de plus en plus de directives, de prescriptions et d’exigences administratives. En ville, on doit aussi souvent faire face aux commandes motivées par des considérations politiques, comme le plan directeur de la ville de Zurich actuellement en discussion qui souhaiterait rendre accessibles au public les cours intérieures et les terrasses de toit.
Les honoraires SIA traditionnellement appliqués, en fonction des coûts de construction par phase, impliquent souvent de fausses incitations.
Quels grands projets réalisez-vous ou avez-vous réalisés récemment ?
Fin 2020 à Zurich-West, nous avons livré notre projet Atmos aux locataires, un parc d’affaires visionnaire comprenant près de 24 000 mètres carrés de surfaces de bureaux, pour un volume d’investissement d’environ 130 millions de francs. Toutes les surfaces sont louées, plus de la moitié à la marque suisse de chaussures On. Toujours à Zurich, nous procédons actuellement à la rénovation totale de l’un de nos immeubles, situé directement en face de la gare centrale. Certains se souviennent peut-être du spectaculaire incendie à l’automne 2018. En collaboration avec la ville de Zurich, nous avons procédé à la reconstruction fidèle à l’original des immeubles classés et livrerons les surfaces cette année au fournisseur international d’espaces de cotravail IWG, qui y proposera 4700 mètres carrés de surfaces de bureaux flexibles et uniques sous la marque Signature.
En tant que maître d’ouvrage et investisseur, vous posez des exigences et mettez en oeuvre vos souhaits. Quelle démarche est promise au plus grand succès ?
Cela peut paraître banal, mais l’essentiel, c’est de savoir ce que l’on veut. Tout est simple quand on connaît déjà le locataire, qu’il possède lui-même des compétences en matière de construction et qu’il a déjà défini son produit. Mais c’est très rarement le cas. La recherche du produit est souvent très longue. Tout n’est pourtant pas planifiable à long terme. En ce qui concerne les surfaces vacantes ou celles qui pourraient devenir vacantes à court terme, ainsi que les nouvelles constructions, le facteur temps est décisif. C’est pourquoi il nous semble important de disposer d’un savoir-faire immobilier en interne. C’est la solution pour nous permettre d’approcher nos partenaires externes avec de solides compétences de maître d'ouvrage.
Un projet commence souvent par un concours d’architecture ouvert. Ce qui séduit le jury sur le plan esthétique et urbanistique n’est pas nécessairement adapté aux besoins et rentable. Qu’est-ce qui compte le plus pour vous ?
Il est assez rare que nous lancions un concours d’architecture. Dans tous nos projets, notre priorité est l’utilisation à long terme, adaptée au marché, moderne et flexible. Nous pensons donc l’ouvrage avant tout de l’intérieur vers l’extérieur. Il arrive que cette approche entre en conflit avec d’autres intérêts, comme ceux de la conservation des monuments historiques ou des considérations esthétiques. Dans l’idéal, les deux parties travaillent main dans la main. Toutes les procédures, qu’il s’agisse du concours d’architecture, des mandats d’étude parallèles ou du choix des planificateurs, sont extrêmement longues pour les parties prenantes et mobilisent des ressources. Il convient donc de bien réfléchir avant de se lancer. Plusieurs éléments sont nécessaires quand on choisit cette option : une préparation minutieuse, une main habile lors de la sélection du jury et des architectes et, surtout, une idée claire de la direction dans laquelle il ne faut pas aller par exemple. Parfois, on ne peut tout simplement pas éviter l’organisation d’un concours, car une situation sensible en centre ville exige une telle procédure ou bien encore parce qu’elle nous a été « suggérée ». Les règles du jeu en la matière varient d'un canton à l'autre, manquent parfois de transparence et constituent un défi pour chaque maître d'ouvrage.
En plus d’être contrariantes, les erreurs de planification rallongent la durée du chantier et rendent les projets plus coûteux. Comment parvenez-vous à réduire au minimum les erreurs ?
Les erreurs surviennent souvent quand les contraintes temporelles imposent d’aller vite ou quand le travail n’est pas soigné. Il revient à la planification prospective et au contrôle de prévenir ces deux situations. Nous essayons de concevoir des procédures internes garantissant un travail le plus conforme possible. Par chance, il est rare qu’une erreur de planification entraîne un dommage plus grave. Cela s’explique notamment par l’instauration d’une communication ouverte au sein de l’équipe. La condition préalable est l’existence d’une certaine culture de l’erreur. Dans ce cas aussi, la création d’une relation de partenariat, basée sur la confiance, est déterminante, tant au sein de l'entreprise qu'à l'extérieur.
Il vaut mieux adapter le produit que de réduire les coûts à l’aveugle. Des économies sont alors réalisées à des postes invisibles, ce qui aura un impact négatif plus tard.
Pour certaines attributions, vous avez optépour le modèke de prestataire global. Qu'est-ce qui caractérise ce modèle du point de vue du maître d'ouvrage ?
En définitive, ce qui compte pour nous, dans chaque projet, c’est la qualité, les coûts, les délais et la fiabilité. Avec le modèle de prestataire global, c’est la même chose. Sa spécificité est certainement le fait de travailler ensemble à un stade précoce du projet et de recevoir alors les données les plus fiables possible pour une estimation de la rentabilité. Dans un projet, nous avons travaillé avec les experts de Halter SA dès la phase d’acquisition, ce qui nous a apporté le confort nécessaire en matière de faisabilité et de coûts. Le modèle de prestataire global n’est certes pas la garantie du maintien en équilibre du prix, de la qualité et des délais de la planification à l’achèvement. Toutefois, lorsque nous définissons avec précision le produit que nous voulons et que nous l’accompagnons jusqu’à son achèvement, les perspectives de réussite sont grandes.
Les honoraires des prestations de planification constituent un aspect important.
Les honoraires SIA traditionnellement appliqués, en fonction des coûts de construction par phase, impliquent souvent de fausses incitations. Nous préférons, sur la base d’un partenariat, établir un modèle dans lequel les deux parties peuvent être gagnantes, mais aussi perdantes. Très peu d’entreprises y sont prêtes, mais cette solution n’est pas adaptée à tous les projets non plus.
Comment vous protégez-vous contre les souhaits de modification?
Il est important de disposer d’un maximum de souplesse pendant l’ensemble des phases du projet. Il arrive que le locataire ne se décide qu’au moment de l’exécution des travaux. Des modifications doivent donc pouvoir être apportées jusqu’à une phase avancée du projet, sans que cela implique des avenants coûteux – comme dans le modèle de l’entreprise totale habituel. Mais il existe aussi des limites. Dans l’idéal, l’immeuble doit être planifié dès le début avec souplesse pour permettre une large utilisation.
Vous venez d’évoquer le modèle de l’entreprise totale traditionnel. En quoi est-il different du modèle de prestataire global?
Dans le modèle de l’entreprise totale, le projet est généralement planifié et défini avant d’être attribué pour exécution à l'entreprise totale après une soumission correspondante. L’entreprise totale a peu de marge de manœuvre, elle doit se charger de la planification préalable et peut éventuellement proposer une variante d’entreprise plus efficace. Les coûts, la qualité et les délais sont ici aussi des éléments centraux. Mais il existe du point de vue du maître d’ouvrage le risque que des économies soient faites au niveau de la qualité. Par ailleurs, les possibilités d’ingérence du maître d’ ouvrage sont faibles. Si le projet rencontre des difficultés, la seule chose qu’il puisse faire est d’espérer que tout se termine bien. Il est possible de parer à de telles situations par des pénalités contractuelles, mais elles ont leurs limites et ne permettent pas d’éviter le pire des cas, à savoir le départ du locataire en cas de retard.
Lorsque les coûts de construction sont déterminés selon les approches traditionnelles, ils sont souvent trop bas. Cela engendre alors des dépassements importants. Comment vous en prémunissez-vous en tant que donneur d’ordre ?
Grâce à une planification minutieuse et réaliste, exécutée sans une contrainte de temps trop forte. Au début, il y a toujours le risque d’avoir une perception idéale des coûts. Je suis là pour proposer une estimation réaliste, sans réserves cachées. Les motifs des dépassements au cours de la procédure sont complexes et ne sont pas forcément imputables à une mauvaise estimation de départ. Par exemple, des circonstances surprenantes peuvent survenir ou un changement de cap peut être décidé.
Comme propriétaire à long terme, nous privilégions toujours les solutions durables.
Les risques importants pour le maître d’ouvrage ne surviennent pas seulement lors de la planification, mais avant tout lors de la réalisation d’un projet. Quels avantages le modèle de prestataire global peut-il avoir dans ce cas ?
Le prestataire global étant déjà présent à un stade précoce du projet, il peut apporter ses idées dès le début et fournir très tôt une estimation des coûts et des délais. Nous espérons qu’une telle interaction génère un gain d’efficacité, tant au niveau des coûts de construction qu’au niveau de la durée du chantier. Si le projet est défini et approuvé, le risque d’un dépassement du délai d’exécution peut être régi par contrat. C’est important pour nous, car les locataires ont souvent une date d’entrée fixe.
Les architectes aiment généralement les projets d’envergure. Ils sont très exigeants et tout ne fonctionne pas comme prévu. L’approche « design-to-cost » représente-t-elle une alternative ?
Cette approche peut être pertinente dans certains cas. Mais de mon point de vue, il est plus important de bien définir le produit. Il vaut mieux adapter le produit que de réduire les coûts à l’aveugle. Des économies sont alors réalisées à des postes invisibles, ce qui aura un impact négatif plus tard. Comme propriétaire à long terme, nous privilégions toujours les solutions durables.
Les architectes accordent souvent moins d’importance aux installations techniques, à l’exploitation et aux frais courants qu’à la conception. Comment faites-vous pour donner plus de poids à ces aspects ?
La plupart préfèrent parler de l’esthétique d’une façade que de l’efficacité d’un système de ventilation. Mais il ne faut pas généraliser. Nous travaillons avec des architectes qui connaissent nos besoins. Notre service interne dédié à la technique du bâtiment et à l’énergie suit la majorité des projets et s’assure que nos exigences sont satisfaites.
Quelles normes énergétiques visez-vous pour vos projets ?
Pour les nouvelles constructions comme pour les rénovations, nous nous orientons vers les normes de construction durable courantes. Nous renonçons généralement à une certification, car la plupart des lois cantonales relatives à l’énergie ont adopté le standard Minergie. En matière de durabilité, nous souhaitons contribuer à réduire les émissions de CO2 en remplaçant systématiquement les chauffages à énergie fossile en fin de vie par des chauffages à faibles émissions de CO2 comme le chauffage à distance ou les pompes à chaleur. Chaque rénovation énergétique nous permet de gagner en efficacité.
Parlez-nous à nouveau de projets concrets, par exemple du chantier très exigeant de l’hôtel CitizenM à Genève.
Au début de la rénovation, nous avions prévu un immeuble de bureaux accueillant des surfaces commerciales au rez-de-chaussée. Nous avons ensuite choisi de transformer les étages de bureaux en 144 chambres pour un hôtel CitizenM. Il y a deux raisons à cela: la situation plutôt faible de l’immobilier de bureau à l’époque et le fait que les calculs de CitizenM se basaient sur un loyer du marché. Le passage d’un usage de bureaux à un usage hôtelier a constitué un défi pour tous les acteurs. Les normes de l’exploitant hôtelier étaient complexes, le calendrier serré. Halter était alors sur le point d’achever avec succès un hôtel CitizenM à Zurich. Cet heureux hasard nous a convaincus de confier l’exécution du projet de Genève au même prestataire global, qui est, de plus, bien implanté en Suisse romande et connaît les particularités locales dans les relations avec les autorités. Globalement, la collaboration entre nous, l’exploitant de l’hôtel et Halter a bien fonctionné, et nous sommes très satisfaits du résultats.
Quels projets communs avez-vous en préparation avec Halter ?
Nous échangeons régulièrement sur des formes de coopération et des sujets spécifiques. Nous estimons qu’il ne faut pas toujours avoir un projet pour entamer une discussion. Le prochain grand projet que nous allons entreprendre ensemble et que nous souhaitons réaliser dès 2023 est le Globus de Bellevue, à Zurich – en collaboration avec le cabinet d’architectes bâlois jessenvollenweider, qui a remporté la procédure de mandats d’étude parallèles en novembre dernier.
La transformation numérique fait évoluer les procédures de construction. Quel rôle l’humain aura- t-il encore à l’avenir ?
Le travail manuel est toujours très présent sur les chantiers. Nous ne sommes prêts ni en tant que maître d’ouvrage ni en tant que mandataire à mettre en œuvre tous les projets avec le Building Information Modeling (BIM). L’idée de disposer de toutes les informations pertinentes dans un jumeau numérique pendant tout le cycle de vie d’un chantier est séduisante et devrait à l’avenir rendre plus efficaces la construction et l’exploitation. Mais il faudra des années avant de pouvoir largement profiter de cette évolution.
Où en serons-nous dans dix ans ?
La manière dont nous travaillons et par conséquent le poste de travail continueront certainement d’évoluer. « Travailler depuis n’importe où » sera le mot d’ordre. Beaucoup de choses dont nous n’avons encore absolument pas conscience aujourd’hui pourront avoir lieu de manière virtuelle. Mais il y aura toujours des centres créatifs et innovants où les gens se rencontreront pour travailler ensemble à la réalisation d’un objectif. Dans dix ans, ces lieux s’appelleront encore des bureaux. Je suis aussi persuadé que les villes retrouveront leur pouvoir d’attraction après la crise du coronavirus, les centres-villes conserveront leur importance.
Reto Grunder (47 ans) est directeur des investissements chez PSP Swiss Property, une société immobilière cotée en bourse qui détient des immeubles commerciaux dans les principaux centres économiques de Suisse et possède un portefeuille d’environ 160 biens immobiliers d’une valeur de 8,6 milliards de francs. L’avocat spécialisé en droit de la construction et de l’immobilier a étudié à l’Université de Berne et a décroché sa licence en 2001. Il a obtenu le brevet d’avocat du canton de Berne en 2004. Il a ensuite travaillé dans des cabinets d’avocats à Bienne et Thoune. En 2008, Reto Grunder a rejoint PSP en tant que Legal Counsel, puis y a exercé au poste d’Asset Manager à partir de 2016 et est devenu directeur Acquisition & Sales en 2019. Marié et père de deux enfants, Reto Grunder vit avec sa famille dans le canton de Zurich.
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