La mixité au programme d’un quartier vert

Texte
Héloïse Gailing
Visualisations
Atelier Brunecky

Si le concours d’architecture est une tradition en Suisse, sa forme n’en a pas moins évolué avec la profession. Avec la numérisation du secteur de la construction, l’introduction du Building Information Modeling (BIM) dans les procédures semble donc logique. Lors du concours organisé en 2022 pour le futur projet La Cité du Vin à Rolle, Halter SA a accompagné aussi bien les six équipes d’architectes participantes que le jury et les maîtres d’ouvrage dans cette nouvelle pratique. Les lauréats sont désormais encadrés vers un processus de planification et de réalisation numérique de bout en bout.

Sur le site historique de la société Schenk Suisse SA, l’un des premiers producteurs de vins suisses, un nouveau quartier doit voir le jour ces prochaines années sous le nom de La Cité du Vin. Lorsque Halter SA en collaboration avec ses investisseurs Helvetia ­Assurances, Raiffeisen Caisse de pension et Previs Prévoyance remporte l’appel d’offres en 2021, la forme globale est alors déjà bien définie. En 2013, un projet urbain avait été lancé avec une mise en concurrence sous forme de mandats d’étude parallèles (MEP) pour l’élaboration d’un plan de quartier, qu’a remporté le bureau d’architecture CCHE.

Le plan de quartier « Gare Nord – Schenk » prévoit la réalisation du nouveau site de production vinicole de l’entreprise sur une parcelle au nord, le long de l’autoroute. Au sud, le terrain d’un peu plus de 26 000 mètres carrés qui accueille le site actuel, à proximité directe de la gare CFF, est libéré pour créer un nouveau quartier résidentiel mixte. Reste à présent à donner une identité cohérente à ces deux terrains grâce au projet de La Cité du Vin.

Unité et diversité

Le plan de quartier comprend un peu plus de 43 000 mètres carrés de surface de plancher déterminante destinés au logement, aux activités artisanales et aux commerces ainsi qu’aux équipements publics. Bien que panachée sur l’ensemble de la parcelle, la répartition globale des activités se veut cohérente avec le contexte : au sud, le long de la gare, un front bâti doit accueillir logements et commerces ; les activités artisanales sont privilégiées sur la frange ouest, le long de l’axe routier et du nouveau site de production Schenk ; à l’écart de la circulation, la parcelle devient un parc, occupé principalement par des logements.

A la rencontre des différentes zones, un programme scolaire public articule les usages et ouvre le quartier sur la ville. Le plan de quartier définit aussi la nouvelle plateforme de la gare et un espace public attenant qui va de l’urbain vers une ambiance plus bucolique. Une ruelle commerçante à l’arrière de la frange bâtie de la gare fait la transition vers le parc paysager, qui bénéficie de pleine terre dans ce quartier qui se veut perméable aux parcours piétons.

Cette mixité programmatique constitue une caractéristique très forte du projet. Dans le programme du concours, elle se prolonge même par la nécessité de mixité sociale avec l’importance de la variété typologique et de la diversité de standings de logements. Le futur quartier doit ainsi proposer des loyers libres, pour revenus moyens, avec des petites familles dans la partie urbaine en relation avec la gare et des logements familiaux plus généreux dans le parc à l’arrière.

Les loyers contrôlés (15% de la surface de plancher) et des logements pour seniors (5%) sont répartis entre la frange ouest et la partie vers la gare. Selon le programme du concours, cette multiplicité d’activités et de populations devrait se refléter dans l’expression architecturale. Plutôt qu’un morceau de ville unitaire, le règlement tend en effet vers la matérialisation de secteurs distincts qui appartiendraient pourtant tous à un quartier reconnaissable, à l’identité forte. Le projet devrait « explorer habilement la relation entre unité et diversité, passé et présent, afin de créer une image urbaine animée aux multiples facettes ».

Le projet lauréat développe un réseau de chemins qui forme une maille de circulation entre les bâtiments du parc. Une couronne de balcons sur toute la périphérie crée des espaces extérieurs privés aux dimensions généreuses. Avec leurs terrasses, les logements du rez profitent eux aussi de la verdure environnante.

L’importance du vide

Les aménagements extérieurs prennent alors une importance majeure puisque ce sont eux qui constituent le liant de cet ensemble hétérogène, grâce à un réseau de chemins publics et semi-publics qui parcourt le plan et favorise l’interaction sociale. Ces espaces extérieurs de rencontre doivent résoudre à la fois les questions de mobilité, de gestion des eaux, de climat et de biodiversité tout en étant des lieux de loisirs, de détente et de rencontre. Le vide a pour mission de créer la cohésion afin que les deux parcelles forment un tout : La Cité du Vin, à l’identité forte et assumée, entrée de ville qui renvoie à la fois à la tradition locale du vin et à un mode de vie urbain, contemporain. Le programme insiste sur la qualité de l’intégration paysagère et la nécessité d’une approche holistique de la part des équipes concurrentes. D’ailleurs, le choix des invitations de ces dernières reflète cette importance puisque sur six équipes toutes constituées d’au moins un bureau d’architecture et d’un bureau d’architecture du paysage, deux étaient pilotées par des architectes paysagistes. Et c’est finalement une de ces deux équipes, menée par le Studio Vulkan Landschaftsarchitektur de Zurich, en collaboration avec LRS Architectes de Genève et LVPH Architectes de Pampigny, qui est lauréate. Séduit par la radicalité de leur proposition, le comité d’évaluation a choisi le projet le plus homogène, qui ­distingue un bâtiment au caractère industriel affirmé en bordure de la gare et un îlot vert, planté de onze immeubles à l’arrière. Le premier bénéficie de sa situation urbaine pour proposer une grande flexibilité dans son aménagement et son évolution future. Sa structure en poteaux-dalles est adaptée aux différents programmes et l’insertion de trois courettes permet d’apporter de la lumière naturelle dans l’épaisseur. L’école est déplacée en tête de quartier, ce qui permet de lui donner une identité forte et a l’avantage de distinguer son préau des autres aménagements extérieurs. Dans le parc, les dix bâtiments rayonnent depuis un noyau de circulation intérieure jusqu’à une couronne de balcons périphériques qui leur confère une expression de légèreté, en contraste avec la minéralité du socle. Sous une apparence similaire, les plans déclinent une diversité de typologies qui répondent à la demande de mixité sociale.

Outre la qualité architecturale de la proposition, c’est bien ce grand espace vert arboré qui a convaincu le comité. Cerné par un mur de soutènement habité qui en dessine le contour, le parc devient un lieu à part entière dont le niveau n’est pas en continuité directe avec la ville. Vers la gare, le dénivelé est utilisé pour exploiter le rez des bâtiments comme un socle actif parsemé d’arcades. Des escaliers et des rampes rompent l’enceinte de manière ponctuelle et forment des pénétrantes de la ville vers le parc. Le réseau de chemins qui le parcourt ensuite constitue une maille de circulation assez homogène, qui ne tend pas à marquer un axe plutôt qu’un autre. Malgré un plan de quartier très dessiné et laissant peu de liberté aux concurrents, l’équipe lauréate est parvenue à donner une identité très spécifique à l’îlot qui s’exprime comme un tout dans le projet.

Le concours numérique

En cela, le concours reste un outil formidable, car il parvient toujours à susciter la surprise chez ses décideurs par rapport à leurs propres attentes. Même ici, dans le contexte d’un concours numérique, avec un schéma urbain aussi défini et une stratégie immobilière claire, la créativité des ­architectes et architectes paysagistes a permis d’apporter des réponses variées et inattendues. Et si les données chiffrées issues de l’analyse des modèles BIM n’ont pas empêché le comité d’évaluation de se laisser surprendre, c’est aussi parce que, contrai­rement à ce qu’on pourrait attendre d’une telle procédure, le modèle numérique n’était ici qu’une partie des documents demandés. Son élaboration n’exigeait pas de détails constructifs qui auraient pu limiter le champ créatif dans le cadre d’un concours.

A la manière de la maquette en plâtre blanc des concours traditionnels, les modèles BIM ont principalement servi à comprendre la morphologie des projets et à comparer les propositions de manière neutre. De plus, l’outil facilite grandement la vérification des surfaces, et donc des coûts du projet, ainsi que les qualités d’ensoleillement des intérieurs, et permet une comparaison ­mathématique des projets sans tolérance ni ambiguïté. Selon un sondage anonyme réalisé auprès des équipes concurrentes, les retours sur l’utilisation du BIM dans le concours ont été très positifs.

Pour faciliter ce passage vers le numérique, Halter a encadré les participants lors du concours et propose aux lauréats des ­rencontres régulières avec différents spécialistes pendant le développement du projet. Il s’agit d’accompagner les architectes vers une pratique numérique qui facilite la ­planification du projet, son exécution et sa transition vers l’exploitation. Le modèle reste un outil parmi les autres, au service de la qualité architecturale et urbaine.

Plan de situation projet lauréat: un mur de soutènement cerne le parc surélevé. Au sud, le dénivelé exploite le rez des bâtiments à la manière d’un socle.
Plan d’étage projet lauréat: les logements du parc s’articulent autour d’un noyau qui contient les distributions verticales, les salles d’eau et la technique.
Coupes projet lauréat: le mur autour du parc se transforme en socle percé d’arcades (en haut). Le parc est surélevé par rapport au niveau de la ville (en bas).

Studio Vulkan Landschaftsarchitektur AG

Fondé en 2014, Studio Vulkan est né de la fusion entre Schweingruber Zulauf Landschaftsarchitekten et Robin ­Winogrond Landschaftsarchitekten. L’équipe du Studio Vulkan Landschaftsarchitektur, dont les sièges sociaux sont à Zurich et à Munich, se compose d’une quarantaine de personnes de dix nationalités différentes. Le Studio Vulkan formule, à travers différents projets, des réponses possibles pour le développement de l’architecture paysagère actuelle ainsi que pour la sensibilisation de l’humain à son environnement naturel et construit.
→ www.studiovulkan.ch

LRS Architectes SA

LRS a été créé à Genève en 1999 par Laurent Lin, Alain Robbe et Rolf Seiler. Aujourd’hui, l’atelier regroupe une équipe pluridisciplinaire et multiculturelle, active dans les domaines de l’urbanisme, de l’architecture et de son enseignement. Leurs projets sont principalement issus de concours primés et s’étendent de la maison individuelle à la planification urbaine. Ils portent sur des programmes de logements, de bureaux et d’équipements publics pour des acteurs locaux et internationaux.
→ www.lrs.ch

LVPH Architectes Sàrl

Créé en 2003 par Laurent Vuilleumier et Paul Humbert, le bureau LVPH a consacré plusieurs années à la réaffectation de bâtiments agricoles avant de développer des projets de plus grande ampleur résultant de concours publics d’architecture. Lauréat de la Distinction romande d’architecture en 2006, 2014 et 2018, le bureau emploie actuellement trente et un collaborateurs et développe des programmes très variés en Suisse romande et en Suisse alémanique en s’occupant également de la direction des travaux quand les mandats le permettent.
→ www.lvph.ch

Les différents projets proposés pour La Cité du Vin par les six concurrents du concours d’architecture s’appuient tous sur le plan de quartier développé par CCHE en 2013. A sa manière, chaque équipe interprète ces règles d’urbanisme strictes afin d’optimiser les surfaces de plancher tout en conservant des espaces intérieurs et extérieurs de qualité. Alors que certains participants favorisent l’aménagement des espaces extérieurs, en balcon ou dans le jardin, d’autres proposent un travail plus poussé sur les typologies d’appartement ou les circulations communes des immeubles. Les questions techniques et environnementales sont intégrées et se traduisent bien souvent en dispositif paysager ou choix de matérialités de façade.

Aussi bien dans le projet lauréat que dans les cinq autres propositions, la cohésion entre les disciplines se traduit par l’adéquation du projet architectural au projet paysager. La diversité des réponses offre un aperçu de la créativité et de la qualité des bureaux invités.

L’ensemble des projets ainsi que l’appréciation du comité d’évaluation sont à découvrir sur l’exposition en ligne.
→ www.vivre-laciteduvin.ch

Burckhardt + Partner SA, Lausanne; Atelier Descombes Rampini SA, Genève

En marquant de manière très présente les deux axes piétons du quartier, le projet des ­ateliers Burckhardt + Partner et Descombes ­Rampini distingue clairement trois secteurs. Pourtant les limites ne sont pas strictes : certains bâtiments sont implantés à cheval entre le secteur gare et le parc, tandis que les aménagements extérieurs créent des poches perméables, sous forme de placettes et de cours.

Le plan des logements et l’expression des façades reprennent cette distinction en trois secteurs qui structure le site. Les bâtiments allongés dans le parc déclinent des appartements traversants, tandis que les immeubles voisins plus concentrés favorisent les typologies d’angle. Chaque logement ­possède un grand balcon saillant, emboîté dans le séjour et qui s’avance dans le parc et les arbres. L’orientation variable de ces balcons apporte une certaine dynamique au volume des immeubles.
Bien que les parements des façades varient entre un bardage en bois et des crépis à la chaux, la continuité est assurée dans le quartier par la saillie horizontale des dalles ainsi que les soubassements en pisé des immeubles.

Harry Gugger Studio AG, Bâle; Westpol Landschaftsarchitektur GmbH, Bâle

La proposition de l’équipe bâloise, composée de Harry Gugger Studio et Westpol Landschafts­­­­architektur, se distingue par la fragmen­tation du front bâti de la gare en trois plots, et par la création d’une cour artisanale autour de laquelle s’organisent les locaux d’activité au nord-ouest. Les deux axes majeurs de circulation du site ne sont pas franchement tracés ; leur dessin oscille entre des zones plantées de manière à atténuer les lignes directrices et les frontières entre secteurs.

Les plots formés au sud en direction de la gare se rapprochent des gabarits du secteur ouest tandis que dans le parc, les immeubles sont organisés en volumes fragmentés. De cette manière, les constructions réduisent leur impact visuel et offrent davantage de façade. De grands balcons saillants participent à ce jeu de démultiplication de la masse, de même que les coursives qui desservent certains immeubles. Une grande diversité de typologies est alors proposée, avec des logements originaux.

Itten + Brechbühl SA, Lausanne; Argemí Bufano Architectes Sàrl, Genève; MAP Architecture du Paysage SA, Lausanne

Avec la création sur la totalité de la parcelle d’un grand parc à l’échelle du quartier élargi, le projet multiplie les jardins ­thématiques et petits aménagements extérieurs identifiables. Cette richesse parvient à créer un effet de nappe uniforme et enveloppante sur tout le site, même dans la partie qui se veut plus urbaine, vers la gare.

Dans ce grand parc, les bâtiments sont légèrement déformés, de manière trapézoïdale, afin de fluidifier la circulation et leur donner une certaine dynamique de forme. En alternant des immeubles dotés de balcons-­loggias aux angles et d’autres couronnés de balcons périphériques, l’équipe peut offrir différentes typologies, intéressantes dans leur fonctionnement mais jugées trop généreuses par le comité. Ce dernier reproche également un manque de lumière dans certains appartements, vérification possible grâce au modèle BIM.

RDR Architectes SA, Lausanne; Forster Paysage Sàrl, Prilly

Cette proposition accentue l’axe piéton nord-sud qui relie la gare au futur site de production de la maison Schenk tout en le prolongeant – une mesure qui vise à marquer symboliquement l’attachement du site à la tradition vinicole. Dans le même ordre d’idées, la rue piétonne située à l’arrière du bâtiment de la gare est recouverte d’une treille qui évoque l’univers de la vigne et sa culture, mais elle affiche une certaine étroitesse et son langage végétal n’a pas convaincu le comité d’évaluation.

Les bâtiments se caractérisent par un jeu de fragmentation des volumes et de grands balcons qui confèrent aux gabarits des silhouettes découpées et individualisées. Cette démultiplication du linéaire de façade procure une intéressante richesse de vues et d’orientations aux appartements. Le long de la gare, la barre reprend ce jeu avec un pli triangulaire qui déforme la façade et accueille les balcons.

Verzone Woods Architectes Sàrl, Vevey; Magizan SA, Lausanne; EMF Paysage, Gérone (Espagne)

Cette équipe propose aussi de fragmenter la barre formée par le bâtiment de la gare, mais uniquement dans les niveaux supérieurs. Ce geste marque la volonté de relier le projet à son environnement direct et lointain, notamment en augmentant les percées vers le lac. La densité du projet a séduit le comité qui lui reproche néanmoins de réaliser cette performance au détriment de certaines typologies.

Différentes matérialités sont déclinées en façade, dans des nuances de couleurs harmonisées, parfois sur un même bâtiment. Sur l’ensemble du site, de grands axes structurels organisent les immeubles et contribuent à orienter les typologies selon les vues et les nuisances. Sur les contours de la parcelle, les façades sont disposées en recul de balcons linéaires censés améliorer la protection contre le bruit.

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2023. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

Commander les magazines