Un îlot dans le paysage

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DnD Landschaftsplanung
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Patrick Senn, Johannes Buchinger

Connecter l'ancien et le nouveau, créer une porosité urbaine, mettre en œuvre une conception d'espace ouvert résiliente au climat - voilà les objectifs principaux de la transformation du site d'Attisholz près de Soleure. DnD Landschaftsplanung et FSA Architektur de Vienne ont remporté le concours d'étude qui servira de plan directeur pour le développement ultérieur de l'impressionnante ancienne usine de cellulose. L'objectif est de préserver et de renforcer les caractéristiques existantes du site. Cela nécessite également de la flexibilité, car la reconversion s'étendra sur plus de vingt ans.

Il n’existe probablement aucun site industriel en Suisse qui soit aussi impressionnant que celui de l’ancienne usine de cellulose d’Attis­holz. Bien que situé à seulement 4 kilo­mètres en aval de Soleure, sur les rives de l’Aar, l’ensemble de bâtiments semble encore aujourd’hui enchanté : depuis la gare de Ried­holz, sur la ligne de chemin de fer Soleure – Niederbipp, on suit la route qui descend en pente raide et on passe devant les anciens bains avant d’apercevoir successivement les bâtiments industriels : une grande cheminée, la structure en béton armé de la Säureturm et enfin le groupement de halles et de bâtiments de l’usine qui s’élèvent le long du versant en terrasses.

Différents facteurs contribuent au charme particulier de ce lieu : sa topographie impressionnante – le versant en terrasses sur la rive nord de l’Aar, qui offre un vaste panorama sur la plaine de l’autre côté du fleuve ; les témoignages architecturaux grandioses de la culture industrielle, qui occupent un site dont la superficie dépasse celle de la vieille ville de Soleure ; enfin, et surtout, sa situation dans un espace modelé par le paysage.

Les sites industriels, même ceux de grande ampleur, faisant l’objet d’une reconversion ne sont pas rares en Suisse. Mais en général, ils sont situés dans un contexte urbain, que ce soit à Zurich, à Baden ou à Winterthour. Attisholz, quant à lui, est un îlot densément bâti dans le paysage, entièrement détaché de toute structure urbaine.

Un développement par étapes

Au cours de ces dernières décennies, c’est la pression économique qui a décidé de la conservation ou de la démolition des sites industriels en Suisse. Ainsi, dans la riche ville de Zurich, l’héritage architectural industriel qui s’est maintenu sur plusieurs sites jusqu’au XXe siècle a été éliminé en grande partie. A Winterthour, l’évolution a été différente, à savoir plus modérée et plus respectueuse du patrimoine bâti, en raison de l’absence d’investissements.

La stratégie adoptée pour le site d’Attis­holz, conçue par Halter SA (qui a acquis les biens immobiliers en 2016), va dans la bonne direction, car elle mise sur le long terme. Il s’agit ici d’un développement ­progressif avec un horizon temporel qui pourrait s’étendre jusqu’aux années quarante de notre siècle.

En 1881, le chimiste Benjamin Sieber, né en Allemagne en 1839 et qui avait auparavant travaillé pour l’entreprise Geigy à Bâle, a fondé l’usine de cellulose d’Attisholz, qui s’est spécialisée dans la fabrication de carton et de papier. Seule usine de cellulose de Suisse, elle fut transformée en société anonyme en 1908, tout en restant une entreprise familiale. En 1983, celle-ci a même racheté l’entreprise allemande de papier toilette Hakle – une lueur d’espoir qui s’est assombrie quinze ans plus tard avec la vente à un groupe américain. A la fin du XXe siècle, la société Cellulose Attisholz sombra ­définitivement dans la tourmente : Christoph ­Blocher reprit le groupe en 2000 et le vendit deux ans plus tard au groupe norvégien ­Borregaard. Ce dernier s’est vu contraint d’arrêter la production à Attisholz en 2008, car la fabrication de cellulose n’était plus rentable en Suisse. La société mère Orkla a vendu le site en 2018 à l’entreprise immobilière Halter, présente dans toute la Suisse. C’est ainsi qu’a débuté la phase de transformation postindustrielle et que le site a été ouvert au public.

Conformément au projet gagnant « Schicht für Schicht » (« couche par couche »), la place au bord de l’Aar s’ouvre sur l’espace fluvial. Sa surface recouverte de gravier descend vers la rive. Depuis la rampe, on aperçoit l’ancien site sud de la société Cellulose Attisholz situé en face.
L’architecte paysagiste Anna Detzlhofer tient à préserver autant que possible la substance existante. Les cuves historiques seront intégrées dans un jardin imprégné d’eau et entouré d’arbres.

Vers la transformation postindustrielle

Pour se rendre compte du résultat impressionnant de ce qui a été réalisé ces dernières années, il suffit de faire le tour de l’ancien site de l’entreprise, que l’on s’en approche par le nord, depuis la gare de Riedholz, ou par le sud, depuis la gare de Luterbach-­Attisholz. Le site sud, situé sur la commune de Luterbach, revêtait autrefois une importance capitale pour la logistique de la société Cellulose Attisholz : c’est ici qu’étaient stockés les rondins d’épicéa et de hêtre, écorcés, transformés en copeaux de bois, puis acheminés par le train qui traversait l’Aar vers l’usine de cellulose. Les entrepôts ont disparu, le groupe Biogen a repris de grandes parties du site et y emploie cinq cents personnes. En 2010, le canton de Soleure a racheté 6 hectares du terrain proche de la rivière et a chargé Mavo Land­schaften, de Zurich, de réaliser le parc riverain, inauguré en 2019, qui a pour but d’entretenir le souvenir de cet ancien paysage industriel.

Ce qui a disparu sur la rive sud se dévoile pleinement sur la rive nord. L’ancien site de production de la société Cellulose Attisholz apparaît presque comme un mirage dans le paysage fluvial dès que l’on franchit le pont sur l’Aar. Surplombant le tout : la Säureturm du bureau d’ingénieurs soleurois Moos & Jäggi, datant des années 1928/29. C’est là qu’était produite la solution acide utilisée pour séparer la lignine de la pâte de bois grâce à un procédé chimique faisant appel au bisulfite de calcium. Un stère de bois permettait d’obtenir 170 kilos de cellulose. Plusieurs autres constructions sont également impressionnantes, comme la Kies­ofenhalle (construite entre 1951 et 1953) voisine de la Säureturm, une structure en béton armé aux dimensions imposantes de 30 × 100 mètres et d’une hauteur de 26 mètres, avec des fenêtres filigranes à croisillons.

Si partout ailleurs, les sites industriels sont rapidement réaffectés et défigurés au point de devenir méconnaissables, Halter a choisi de développer une stratégie de transformation douce et successive pour le site d’Attis­holz. A la mi-2022, le site central de 73 000 mètres carrés (Attisholz uno) a été vendu à la caisse de pension d’UBS. En tant que promoteur et détenteur du droit de superficie, Halter demeure toutefois ­responsable de la transformation du site et conserve le reste des terrains, soit 420 000 mètres carrés (lire aussi « Superfi­ciaire, superficiant, un calcul inégal », p. 134). Il est prévu de créer 740 logements ainsi que plusieurs centaines d’emplois au cœur du site.

La Säureturm, classée monument historique, est l’emblème iconique du quartier, visible de loin. Il est peu probable que l’on parvienne à la transformer en belvédère, comme le prévoyait le projet gagnant.

Renforcer les caractéristiques existantes

En 2021, le canton de Soleure a approuvé la planification d’affectation du site d’Attis­­holz qui avait été élaborée par un groupe réunissant la commune, le canton et Halter. Une grande importance a été accordée à la participation de la population.

L’étape suivante a consisté en l’organisation d’un concours sous forme de mandats d’étude parallèles pour la planification des espaces ouverts, qui a été remporté par les bureaux viennois DnD Landschaftsplanung, dirigé par Anna Detzlhofer, et FSA Architektur, dirigé par Regina Freimüller-Söllinger, avec leur projet « Schicht für Schicht » – en français « couche par couche ». Sur le plan architectural, les deux aménagistes et leurs équipes misent sur le dialogue entre l’ancien et le nouveau, afin de pouvoir conserver et mettre en scène une grande partie du patrimoine bâti historique. Des volumes supplémentaires seront intégrés de manière à ne pas dominer les bâtiments existants. Dans ce contexte, l’idée de porosité urbaine est importante : l’implantation des bâtiments laisse des passages et des relations visuelles libres, si bien que la topographie particulière du lieu reste percep­tible. Cette idée fondamentale est pour­suivie grâce au décalage et à l’étagement des volumes.

La lecture de la stratification paysagère avec ses terrasses successives a permis d’identifier quatre niveaux qui possèdent d’ores et déjà des caractéristiques bien distinctes. Cela commence par le quai de l’Aar, qui longe la rive tout au sud et s’ouvre sur l’espace paysager du fleuve. L’Attis­boulevard, ancien axe de desserte de l’usine de cellulose, est marqué par son caractère industriel rugueux qui doit ici être conservé. Cela vaut également pour le Kochereiplateau, situé un niveau de terrain plus haut, avec des bâtiments emblématiques comme la Säureturm et la Kiesofenhalle. L’Attis­campus, tout au nord, affiche quant à lui un aspect plus intime et vient contraster avec les zones urbaines situées en contrebas.

La diversité d’expression des quatre niveaux horizontaux, séparés les uns des autres par des bordures de terrain existantes, sera renforcée à l’avenir par des inter­ventions architecturales et paysagères. Vient s’y ajouter une optimisation des dessertes verticales sous la forme d’escaliers et de rampes, dont un large escalier panoramique qui reliera à l’avenir l’Attisboulevard au Kochereiplateau, améliorant ainsi également l’accessibilité du site depuis le nord.

Le schéma directeur de DnD et FSA convainc à la fois par sa lecture claire du site et par ses interventions discrètes qui exploitent et renforcent les potentiels existants. En outre, il est suffisamment flexible quant aux utilisations futures, qui peuvent changer au cours des deux décennies à venir, voire plus. Le premier d’une série de concours portant sur des sous-secteurs et basés sur le schéma directeur urbanistique et paysager a été remporté en décembre 2022. C’est le bureau Burckhardt + Partner qui a remporté le concours pour la Kocherei, l’ancien bâtiment des lessiveurs.
→ www.attisholz-areal.ch

Coupe du terrain: l’échelonnement du site est bien visible. Certains bâtiments seront surélevés, d’autres verront leur volume réduit en douceur.
La perspective volumétrique montre les corps des bâtiments de l’ancien site industriel qui s’échelonnent sur le versant depuis la rivière.
Le projet de reconversion doit commencer par la place au bord de l’Aar. Des arbres à haute tige assurent la liaison avec les espaces verts adjacents.

DnD Landschaftsplanung ZT KG

Le bureau DnD Landschaftsplanung a été fondé en 2012 par Anna Detzlhofer et Sabine Dessovic à Vienne. Il s’agit d’un bureau d’ingénieurs civils spécialisé dans la planification et l’architecture paysagères, qui travaille sur les thèmes de la construction de logements, de bâtiments éducatifs et commerciaux ainsi que d’espaces publics. Les projets résultent le plus souvent de concours. Anna ­Detzlhofer a fondé le bureau Detzlhofer à Vienne dans les années 1990. Elle a collaboré à plusieurs reprises avec Adolf ­Krischanitz, notamment pour le concours de la Messeplatz de Bâle (1997) et pour la cité modèle de Hadersdorf (2002–2007) à Vienne. Depuis 2017, elle est membre du comité consultatif sur l’aménagement de la ville de Salzbourg.
→ www.dnd.at

Freimüller Söllinger Architektur ZT GmbH

La société FSA a été fondée en 2016 par Regina Freimüller­-Söllinger à Vienne. Après ses études à l’Université technique de Vienne, à l’Université du Michigan et à l’Archi­-
tecture Association School of Architecture de Londres, Regina Freimüller-Söllinger a travaillé comme assistante de recherche et enseignante à l’EPF de Zurich de 1998 à 2013. Parmi ses projets les plus connus figurent notamment le lotissement Tivoligasse (2019) et le lotissement ­Florasdorfer Spitz (2022), tous deux à Vienne.

→ www.freimueller-soellinger.at

Anna Detzlhofer (62 ans) vit et travaille à Vienne. Elle est présidente de l’Österreichische Gesellschaft für Landschaftsarchitektur (ÖGLA) depuis 2022.

L’architecte paysagiste viennoise Anna ­Detzl­­­hofer a remporté en 2022, avec son équipe de DnD Landschafts­planung, le concours ­portant sur la planification des espaces ouverts d’Attisholz. Depuis, elle travaille sur un concept d’aménagement de cet ancien site industriel en vue de sa reconversion en un quartier à vocation mixte.

Komplex : Madame Detzlhofer, quelles étaient vos impressions lorsque vous avez visité le site d’Attisholz pour la première fois ? Où avez-vous identifié des potentiels, voire des difficultés ?

Nous avons été extrêmement impressionnés par la structure verticale des stratifications sur le versant, mais aussi par l’étendue du paysage. Quand on arrive du côté nord, c’est-à‑dire de la commune de Riedholz, on se retrouve confronté à l’échelle gigantesque des constructions et à la vue sur la plaine qui s’étend de l’autre côté de l’Aar. Et puis, il y a bien évidemment les vestiges de l’architecture industrielle, qui forment un ensemble densément échelonné entre les halles, la Säureturm et les cuves. L’agencement des bâtiments a évolué au fil du temps, ce serait impossible à réaliser en une seule fois. Nous ne pouvions que nous réjouir à l’idée de travailler ici.

Le projet avec lequel vous avez remporté le concours s’appelle « Schicht für Schicht » – en français « couche par couche ». Très ­concrètement, comment avez-vous ­développé les idées de base ?

Il y a eu une première visite officielle avec tous les participants. Mais nous avons ensuite pris une journée supplémentaire, notamment parce que, venant de Vienne, nous ne pouvions pas retourner sur place de sitôt. Cette journée a été extrêmement utile et certaines choses se sont déjà cristallisées pour nous. Les premiers thèmes ont émergé de notre inspection exhaustive du site. Nous avons appelé notre projet « couche par couche » parce que la topographie joue un rôle essentiel. D’une part, la topographie ­ca­ractéristique du terrain, qui descend en pente raide vers l’Aar, et d’autre part, les couches historiques. Celles-ci peuvent également être considérées comme des couches sédimentaires. De là est née l’idée initiale d’une matérialisation cohérente. Nous voulions intégrer au projet le thème des couches, des granulations de la roche, qui sont grossières en bas et deviennent généralement de plus en plus fines vers le haut. Mais nous n’avons pas pu le transposer dans cette abstraction.

Qu’est-ce qui s’y opposait ?

Nous avons réfléchi aux revêtements de surface : une granulométrie plus grossière en bas, et plus fine en haut, telle était l’idée. Mais ça n’a pas collé avec l’occupation et les usages. Néanmoins, cette idée de base nous a été très utile pour la suite de notre travail. Lorsqu’on se rend sur le site, on est fasciné par l’échelonnement vertical, par l’organisation des bâtiments sur différents niveaux. En tant qu’architectes paysagistes, nous ne voulons pas simplement mettre de la verdure partout, mais plutôt souligner le caractère des espaces ouverts. Pour moi, la Villa d’Este à Rome a été une référence majeure. Autour du palais et de son jardin Renaissance, le terrain est en pente, il y a de l’eau, mais ce qui est particulièrement important, ce sont les terrasses d’où l’on peut toujours admirer le panorama. Ce sont ces vues qui permettent d’appréhender les dimensions spatiales du site. Cela peut très bien être transposé à Attisholz.

Il est prévu de développer le site d’Attisholz en partant de la rive vers le haut. Pouvez-vous présenter brièvement les zones et leurs caractéristiques ?

Tout en bas se trouve le quai de l’Aar avec la place au bord de l’eau. Nous aimerions bien la prolonger sur la rivière, car elle offre un panorama fantastique et fait écho à l’utilisation du site en face. Au-dessus se trouve l’Attisboulevard avec sa plaque tournante et le pont menant à l’autre rive, ainsi que la « fosse aux ours », un imposant tronçon de tunnel. L’Attisboulevard constitue en fait la partie la plus urbaine, déjà bien ancrée sur le plan culturel et gastronomique. En montant d’un cran, on atteint le Kochereiplateau, avec ses dénivellations et ses ­vestiges architecturaux marquants, comme la Säureturm. Le Kochereiplateau est proba­blement l’endroit le plus important pour les habitants du quartier. Pour ceux qui vivent en haut, à Riedholz, ce niveau fait office de plateforme depuis laquelle on peut accéder à l’ensemble du site. C’est aussi via le Kochereiplateau et la Kiesofenhalle que le nou­veau quartier d’habitation situé plus à l’est sera raccordé ultérieurement. Enfin, tout en haut se trouve l’Attiscampus, qui ne sera toutefois développé qu’en dernier lieu. Il possède un caractère intime, comme un jardin, alors que les autres zones sont plutôt des espaces publics.

Avec quels éléments travaillez-vous pour accentuer les différents caractères des espaces ouverts ?

Tout d’abord, il y a un concept de plantation qui porte sur différents axes prioritaires. En haut, sur l’Attiscampus, nous avons plutôt des prés-vergers, sur le Kochereiplateau, des groupements végétaux de taillis. L’Attis­boulevard est marqué par le caractère de forêt pionnière et de bosquets isolés, et enfin, sur l’Aarequai, on trouve plutôt des arbres à haute tige. Bien sûr, la question se pose toujours de savoir où tel ou tel type de végétation est judicieux dans un tel complexe industriel. L’eau est également un sujet important. Nous souhaitons faire réapparaître le ruisseau Inselbächeli, qui est aujourd’hui souterrain, et rendre l’eau perceptible à différents endroits, que ce soit sous forme de jeu d’eau, de bassin aquatique ou de ­fontaine. Et puis il y a un peu partout des éléments circulaires déjà existants, comme des cuves, des réservoirs et des bassins. Nous reprenons ce thème et l’intégrons dans le mobilier des espaces publics ou dans l’éclairage. Un autre point important est bien sûr le recyclage : allons-nous pouvoir réutiliser certains matériaux des bâtiments existants, c’est-à‑dire récupérer des éléments de construction et les intégrer éventuellement ailleurs sur le site ?

Le point de départ de votre concept est la place au bord de l’Aar. Elle se trouve directement sur la rive et sera l’une des premières réalisations basées sur vos idées.

Pour nous, cette place est une sorte de terrain d’essai : comment se présente la topographie, comment s’articule l’espace avec les bâtiments environnants, qu’en est-il des utilisations ? La plateforme évoquée est également importante pour nous en tant qu’extension sur la rivière. L’intervention au niveau de la zone riveraine n’est pas du tout simple à mettre en œuvre d’un point de vue juridique. Mais on nous a accordé le droit de déboiser par endroits. Le lien avec la rive opposée de l’Aar nous tient particulièrement à cœur. C’est là que se trouvait autrefois le site sud de l’usine de cellulose d’Attisholz, avec ses immenses entrepôts de bois. Il ne reste plus rien de tout cela aujourd’hui. Le bureau Mavo Land­schaften de Zurich y a réalisé en 2018/19 l’Uferpark Attisholz Süd. A ­l’origine, les deux sites industriels étaient reliés entre eux : la livraison des copeaux de bois se faisait depuis le sud via le pont ferroviaire. Par conséquent, nous souhaitons également mettre en relation l’aménagement des deux rives de la rivière. C’est pourquoi la place au bord de l’Aar doit aussi être appréhendée comme un espace à caractère paysager. Le problème, c’est la grande rampe qui y trône depuis quelques années. Nous ne pouvons pas nous en débarrasser, mais elle apparaît comme un corps étranger. C’est pourquoi nous réfléchissons à des stratégies pour la rendre un peu moins visible. La place elle-même est en pente de quatre degrés vers la rive. Il ne faut en aucun cas la paver ou l’imperméabiliser. Nous imaginons un revêtement en gravier.

La question des surfaces a donc une importance particulière pour vous.

Effectivement. Car ce sont les surfaces qui définissent le caractère des espaces. J’aime comparer cela aux textiles : le choix du tissu définit déjà le style du vêtement. Avec du feutre, on obtient quelque chose de complètement différent qu’avec du velours ou de la soie. L’Attisboulevard, par exemple, devrait avoir un aspect brut et industriel.

Ce qui est intéressant dans votre concept, c’est qu’il ne se focalise pas uniquement sur la conception des espaces ouverts, mais qu’il présente également des approches architecturales.

En effet, les aspects architecturaux sont indissociables de ceux liés à l’urbanisme et à l’aménagement des espaces ouverts. Comme pour d’autres projets, nous collaborons avec ­l’architecte Regina Freimüller-Söllinger. L’échange est très enrichissant et ses suggestions constituent chaque fois un excellent complément. Au début du projet, nous avons reçu de Halter un modèle volumétrique en 3D avec lequel nous avons pu travailler. Cela a soulevé des questions comme : Où allons-nous placer quoi ? Quels bâtiments resteront en place ? Où y aura-t-il des éléments nouveaux ? Pour Regina Freimüller-Söllinger, l’un des thèmes centraux était la porosité dans les constructions, afin de créer des relations visuelles et des passages. Dans ce contexte, les coupes étaient importantes pour nous, car dans les endroits présentant une topographie, on ne peut pas travailler sans coupes. L’imbrication des niveaux est essentielle. Nous voulions donc de la perméabilité à de multiples endroits. La question de la hauteur était cruciale car, dans le premier modèle, certains bâtiments étaient aussi hauts que la Säureturm. Nous trouvions que ce n’était pas acceptable. Il n’est pas possible qu’un bâtiment domine la Säureturm. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que la Säureturm restera un élément dominant. Par contre, nous ne savons pas encore comment l’utiliser concrètement. Un café panoramique n’est pas possible, et il reste à déterminer si la Säure­turm pourra servir de belvédère à l’avenir.

Comment se présente le projet Attisholz par rapport à d’autres projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

Attisholz est pour nous un projet exceptionnel – en raison de sa dimension historique, de sa situation topographique et de son envergure. Nous ne bénéficions pas tous les jours d’un tel luxe en matière d’espace. Le fait que nous ayons pu intervenir très tôt, avant même que les décisions urbanistiques et architecturales ne soient prises, a aussi constitué une particularité. Pour moi, en tant qu’architecte paysagiste, c’est l’idéal quand tout n’est pas encore défini, mais que nous avons encore de la marge de manœuvre, même en matière d’urbanisme. Les mauvaises décisions urbanistiques ne peuvent pas être corrigées dans le cadre de l’aménagement des espaces ouverts. C’est pourquoi l’approche de Halter nous a semblé exemplaire.

La crise climatique, entre autres, suscite un intérêt accru pour l’architecture paysagère. Que pensez-vous de cette évolution ?

Pour nous, la grande échelle est essentielle. Dans le cadre d’un petit projet de construction, nous pouvons éventuellement végétaliser des façades ou aménager un jardin sur le toit. Mais dans le contexte urbain, on ne peut vraiment répondre à la crise climatique qu’à l’échelle supérieure des quartiers. Car les constantes réellement résilientes dans le tissu urbain sont les espaces ouverts. Au final, l’architecture est statique, alors que les espaces ouverts permettent le mou­vement. Pour moi, le mouvement est l’essence même de la conception des espaces ouverts.

La façon dont vous abordez l’exis­tant est passionnante. Les friches industrielles comportent toujours un risque de verser dans la romantisation. C’est même le cas du parc paysager de Peter Latz à Duisburg-Meiderich, qui fait à juste titre l’objet de nombreuses louanges : l’ancienne usine sidérurgique ressemble aujourd’hui à un objet romantique et surréaliste niché dans un parc paysager.

Trouver les bonnes idées n’a pas non plus été chose aisée, car les éléments classiques d’un parc ne s’appliquent pas ici. En effet, même si Attisholz possède aujourd’hui le charme de l’isolement, plusieurs milliers de personnes y habiteront et y travailleront demain. C’est pourquoi la différenciation spatiale est indispensable, et nous essayons de l’obtenir en créant des zones et des ambiances différentes. Vouloir appliquer un concept uniforme à l’ensemble du site, comme l’ont proposé d’autres candidats au concours, ne m’aurait pas semblé adéquat. Ce n’était pas notre approche.

La proportionnalité est un sujet important. D’un côté, il y a la possibilité d’un concept uniforme qui ne rend pas justice à la complexité et à l’hétérogénéité de l’existant, mais qui offre peut-être un effet de reconnaissabilité grâce à des éléments répétitifs. De l’autre, il y a la possibilité d’interventions extrêmement frac­tionnées et capillaires. Il semblerait que votre concept trouve le juste milieu, car il est assez imposant tout en faisant preuve de retenue. C’est une bonne combi­naison, d’autant plus que le pro­cessus de transformation se déroule sur une longue période et que des changements doivent donc être possibles.

Je suis ravie que mon approche soit comprise. Gérer un horizon de planification aussi long n’est pas facile. Mais j’ai bon espoir que cela fonctionne !

Cet article est publié dans l'édition imprimée KOMPLEX 2023. Vous pouvez commander ce numéro et d'autres gratuitement ici.

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